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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/69

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LA POÉSIE DE BOILEAU.

de céder au goût du roi pour dévier de sa véritable voie. Son éducation, les habitudes et l’esprit de son siècle, tout conspirait à l’empêcher de prendre conscience de son originalité artistique. Il était né pour faire des vers sonores et colorés, notations d’images et de sensations physiques. Mais emporté par son admiration pour les modèles anciens, obéissant à un goût tout intellectuel que lui inspirait la société où il vivait, il entreprit d’écrire des discours moraux. Or c’était un médiocre moraliste que Boileau : il n’avait rien de ce qui fait les Saint-Simon, les Molière, ni même les La Bruyère. Sans philosophie originale, sans expérience personnelle du cœur humain, incapable d’aller au delà du décor et du masque, il ne pouvait faire, il ne fit dans ses Satires et ses Épîtres morales, que répéter des lieux communs. Comme honnête homme, il est sincère ; comme artiste, sa peinture manque de conviction ; c’est terne, triste et sans accent. Et puis, il a voulu faire des « discours » : lui qui était le moins orateur des écrivains de son temps, infiniment moins que Corneille et Racine qui le sont éminemment, que La Fontaine, qui l’est encore quand il veut ; moins même que La Bruyère qui l’est si peu. N’ayant pas le tempérament oratoire, cette faculté qui perçoit la distance entre deux idées et toute la série des raisonnements par où l’on s’avance de l’une à l’autre, incapable de suivre un principe dans ses conséquences les plus lointaines et d’emporter l’une après l’autre toutes les défenses d’un auditeur par la marche