Aller au contenu

Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
72
BOILEAU.

par son intelligence sur la foi de ses livres ; maintenant il obéit à sa passion intime ; il travaille sur les matériaux de sa propre expérience. Il fait son vers de ce qu’il a vu, senti. Et nous sommes ramenés toujours au même point : ce qu’il y a de poésie dans sa critique a la même origine que le réalisme de sa poésie descriptive. Il n’a de passion sincère que pour les lettres ; il n’a d’idées personnelles que sur les lettres ; hormis dans les sentiments et les idées que les lettres lui inspireront, incapable d’invention et ne pouvant rien ajouter à son expérience, il ne pourra donc évoquer ou traduire que les sensations de son oreille et de son œil. Il sera réduit à ce petit coin du monde extérieur, où la fortune en naissant l’a logé.

Voici donc, à peu près, comment il faut conclure sur la poésie de Boileau. Cette poésie, pour ainsi dire, n’est pas sortie : elle est, dans son œuvre, étouffée, gênée, altérée de mille façons. Seulement ce n’est pas une raison pour la nier, quand par hasard elle se dégage et trouve sa forme : et surtout ce qu’elle a d’étroit et de court n’en doit pas faire méconnaître la rareté originale. N’allons pas nous y tromper : il ne faut pas retarder pour la goûter, et en être encore à Marmontel ou à M. Viennet. Loin de là, pour la sentir où elle est et comme il faut, l’esprit doit être habitué par le naturalisme de nos romanciers et l’impressionnisme de nos peintres à accepter la traduction littérale, impersonnelle et insensible de la nature.