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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/83

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LA CRITIQUE DE BOILEAU.

garde », et tantôt de piller Horace, Juvénal ou Molière : voilà ce que la rancune venimeuse des victimes de Boileau invente pour le confondre.

Cependant, sans parler de quelques critiques de style et de versification, qu’on trouve surtout chez Desmarets, et dont notre poète fit son profit, il y a parmi ces calomnies et ces injures quelques points bien touchés, encore que l’expression soit haineuse ou brutale. Ainsi Boileau ne fut jamais athée : mais ses vers ne sont point parfumés de dévotion, et Pradon et les autres ont raison d’y flairer une odeur de libre raison. Mais ce que tous ont bien vu, ce que tous ont répété avec insistance, en vers et en prose, c’est que Boileau est un « bourgeois », qui fait les délices des « bourgeois ». Il n’est point, lui fait-on dire,

Il n’est point aujourd’hui de courtaud de boutique
Qui n’ait lu mon Longin et mon Art poétique.


Ils ont senti que ce n’était pas là un poète de ruelles, et que le « fin du fin », le galant, le tendre, l’héroïque, tout ce qu’étalaient les auteurs à la mode, et tout ce dont raffolait le « grand monde purifié » d’avant 1660, que tout cela était condamné, jeté au rebut, livré à la dérision. Dans sa pratique comme dans sa doctrine, ce poète-là prenait tout justement, comme Gorgibus, « le roman par la queue » : il appelait « un chat un chat », et du premier coup allait à la nature, au lieu de mener l’esprit à l’idée par de petits chemins tortueux et fleuris. N’avait-il