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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/94

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BOILEAU.

pris que cet Art poétique, et il n’y a pas d’ouvrage doctrinal dont on ait plus méconnu ou défiguré le sens. En voici tout d’abord une raison : c’est que la langue, qui n’a pas beaucoup changé depuis que le xviie siècle s’est flatté de la fixer, a pourtant changé un peu : en sorte que, quand nous lisons Boileau, ou Racine, ou Corneille, leurs expressions ne suscitent plus en nous tout à fait les mêmes représentations qui surgissaient dans l’esprit des contemporains, et la traduction mentale que nous en faisons en courant, n’est qu’une suite d’à peu près, d’inexactitudes et de faux sens. Et quand il s’agit de termes abstraits, qui expriment des concepts tout intellectuels, associés dans l’idée de l’auteur par certaines relations logiques, l’inexactitude perpétuelle finit par devenir une erreur considérable, un contresens total. C’est notre cas, quand nous parcourons Boileau des yeux. Tous ces mots qu’il emploie, raison, vrai, sublime, pompeux, et tant d’autres, qui sont comme les étiquettes de sa doctrine, ont été affectés par nous à d’autres emplois ou correspondent à des cases de l’esprit, dont nous avons renouvelé le contenu. Il faut une transposition continuelle d’idées et de termes pour obtenir la pensée de Boileau en son vrai sens, dans son vrai jour. On s’aperçoit alors que cette pensée est singulièrement moins étroite et moins choquante qu’on ne croyait, et que l’Art poétique n’a pas été écrit précisément pour susciter l’abbé Delille ou M. de Jouy.

La cause d’erreur peut-être la plus considérable,