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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/95

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LA CRITIQUE DE BOILEAU.

c’est ce mot de raison, qu’on voit revenir presque à chaque page du poème. Et de là, d’abord, vient le reproche si souvent adressé à Boileau, de n’avoir point fait à l’imagination sa part dans l’œuvre poétique. Voilà un poète, dit-on, qui, pour faire des chefs-d’œuvre, ne connaît qu’un secret : être bien raisonnable, bien sage, bien obéissant aux règles. De l’imagination pas un mot, ou, s’il y pense, ce n’est que pour l’emmailloter de préceptes, à la rendre incapable de bouger. Et l’on rappelle que Boileau n’avait pas d’imagination ; c’est donc pour cela qu’il défend aux autres d’en avoir : on sait la fable du renard qui a la queue coupée. Mais, on l’a vu, Boileau n’a jamais pris dans son tempérament particulier la règle de l’art. S’il est vrai — et c’est vrai — qu’il se délie de l’imagination et lui trace rigoureusement sa voie, nous verrons au nom de quel principe général. Mais il n’en faut pas conclure qu’il réduise la poésie au métier, ni qu’il estime que les règles sont les agents mécaniques de la perfection : il nous a dit assez nettement sa pensée dans les premiers vers de l’Art poétique, dont on s’obstine toujours à ne pas tenir compte. Avant tout, il demande à celui qui veut faire des vers d’être poète, d’avoir le génie. Ce don naturel, cette faculté créatrice que donne « l’influence secrète du ciel », n’est-ce pas l’imagination ? Mais alors, loin de s’en passer, personne ne l’a plus fortement exigée que Boileau, puisqu’il en fait l’élément primordial, la condition sine qua non de la poésie. Il distingue