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poésie érudite et artistique.

mêlent leurs génies ; l’activité pratique, l’industrie, le commerce, les intérêts et les richesses qu’ils créent n’y étouffent pas les ardeurs mystiques, les exaltations âpres ou tendres, les vibrations profondes ou sonores de la sensibilité tumultueuse : c’est la ville de Valdo et de Ballanche, de Laprade et de Jules Favre. Au xvie siècle, Lyon avait de plus des imprimeries florissantes : des souffles y parvenaient qui mettaient bien du temps à atteindre Paris, et la pensée s’y exprimait plus librement, loin des théologiens sorboniques et des inquisiteurs toulousains. La vie de l’esprit y était intense : dans ce monde inquiet et ardent, les poètes étaient nombreux, et les poétesses presque autant. Deux noms résument les tendances du groupe : Maurice Scève, compliqué, savant, singulier, obscur, avec une sorte d’ardeur intime qui soulève parfois le lourd appareil des allusions érudites et de la forme laborieuse ; Louise Labé, la fameuse cordière, qui fit le sonnet mignard aussi brûlant qu’une ode de Sapho [1]. Dans l’école lyonnaise apparaît comme une première ébauche de l’esprit de la Pléiade.


1. LA DÉFENSE ET ILLUSTRATION DE LA LANGUE FRANÇAISE.


Un jeune gentilhomme vendomois, Pierre de Ronsard [2], obligé, dit-on, par une surdité précoce, de renoncer à la cour, se remet

  1. M. Scève, Délie objet de plus haute vertu, Lyon, 1544 ; Lyon, Scheuring, 1862. L. Labé, Œuvres, Lyon, 1555 ; Paris, 1557, Lemerre.
  2. Biographie : Ronsard, né le 11 septembre 1524, fils d’un maître d’hôtel de François Ier, fut page du dauphin, puis du duc d’Orléans : il suivit Madeleine de France en Écosse, puis Lazare de Baïf à la diète de Spire, enfin Guillaume du Bellay à Turin. En 1541, il rencontra en Touraine celle qui fut sa Cassandre. Devenu sourd, il étudie avec Baïf, et s’enferme quelque temps au collège de Coqueret, dont Daurat était devenu le principal. Du Bellay se joignit plus tard à eux. La publication du Recueil de Du Bellay faillit le brouiller avec Ronsard, qui se voyait devancé : il n’avait encore publié en 1548 qu’une ode dans le recueil de Pelletier. Les Odes et les Amours de Ronsard excitèrent un enthousiasme universel. La sœur du roi, Marguerite, duchesse de Savoir, se déclara sa protectrice. Marie Stuart aussi le goûtait fort. Mais ce fut sous Charles IX surtout qu’il fut en faveur : ce roi visita le poète dans son prieuré de Saint-Cosme, lui donna plusieurs abbayes et bénéfices. Sa ferveur catholique le fit fort attaquer par les calvinistes, qu’il ne ménagea pas dans ses divers Discours et Remontrances. Sous Henri III, il fut de cette Académie du Palais que le roi tenta d’établir : mais le poète de la cour est Desportes ; la gloire de Ronsard ne pâlit pas cependant, et reste entière dans les provinces et à l’étranger. Le Tasse, en 1575, lui lisait les premiers chants de sa Jérusalem. Marie Stuart, de sa prison, lui envoyait un cadeau en 1583. Après Cassandre et Marie, Hélène (H. de Surgères) était l’objet des amours du poète : ces derniers sonnets sont d’un platonisme ingénieux et mélancolique. Dans ses dernières années, Ronsard habitait son prieuré de Saint-Cosme ou son abbaye de Croixval ; souvent il venait à Paris, soit chez son ami Galland, principal du collège de Boncourt, soit dans une maison qu’il avait à l’entrée du faubourg Saint-Marcel (rue Neuve-Saint-Étienne-du-Mont). Il mourut à Saint-Cosme, le 27 décembre 1585. Du Perron fit son oraison funèbre.