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les théories de la pléiade.

à l’étude : pendant sept ans, avec un de ses amis, Antoine de Baïf, il travaille le grec et pratique les écrivains anciens sous la direction de l’hélléniste Daurat ; il rêve de fabriquer à sa patrie une littérature égale aux chefs-d’œuvre qu’il admire : il rencontre dans une hôtellerie Joachim du Bellay, le doux Angevin, plein des mêmes ambitions et des mêmes espérances. D’autres se groupent autour de ces trois, et Ronsard forme la Brigade, qui bientôt et plus superbement devint la Pléiade : champions d’abord, astres ensuite de la nouvelle poésie française. Avec Ronsard, Baïf et Du Bellay, Belleau, Pontus de Thyard, Jodelle et Daurat complétèrent la constellation.

La Pléiade est aristocratique et érudite : elle a pour chef un courtisan, elle compte un helléniste, qui n’a pour ainsi dire rien écrit en français. Odi profanum vulgus est sa devise et son principe : dans l’école de Marot, c’est la toute populaire facilité, le terre-à-terre familier de la poésie frivole qu’elle poursuit. Elle méprise ces poètes de cour, guidés, comme dit Du Bellay,

Par le seul naturel, sans art et sans doctrine.

Elle apporte, elle, un art savant, une exquise doctrine : Part et la doctrine des Grecs et des Romains, des Italiens aussi, qui sont à l’égard de nos Français, comme on l’a déjà vu, la troisième littérature classique. Elle apporte une haute et fière idée de la poésie, qu’elle tire de la domesticité des grands, qu’elle interdit à la servilité intéressée des beaux esprits : la poésie devient une religion ; le poète, un prêtre. On connaît les vers fameux de Charles IX à Ronsard :

Tous deux également nous portons des couronnes :
Mais, roi, je la reçus : poète, tu la donnes…

Ces vers apocryphes ont leur vérité. Le poète donne l’immortalité. Dispensateur de la gloire, il ne doit chercher d’autre salaire pour lui que la gloire. Il respectera son œuvre : il n’aura souci que de la faire belle ; de cette beauté la gloire sera le prix. Donc il ne la formera pas sur le goût d’un public ignorant et léger : il bravera, s’il le faut, le ridicule ; mais il écrira ce qu’il doit écrire, conformément aux grands modèles et au sentiment de son âme. Il sera grave, comme qui fait œuvre éternelle et divine ; plus enthousiaste que plaisant, et dédaigneux des saillies qui font rire. Voilà comment, dans quel esprit, sur les traces des anciens et des Italiens, la Pléiade a jeté brusquement la poésie hors des voies anciennes et populaires ; avec un mélange unique de noblesse aristocratique et de superbe érudition, elle a tenté de prodigieuses nouveautés : elle a voulu tout d’un coup renouveler les thèmes poétiques, changer les genres, refaire la langue.