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l’époque romantique.

ascension de l’âme humaine vers Dieu par la douleur librement acceptée : Jocelyn se fait prêtre sans vocation pour doter sa sœur, souffre d’un douloureux amour qui entre en lui par surprise au bout d’un dévouement généreux, sacrifie ce pur amour au devoir que son premier sacrifice lui a imposé ; toute sa vie est l’immolation des légitimes désirs, des belles passions de son cœur ; mais il trouve au bout de cette continuelle immolation la paix sereine et l’engourdissement délicieux.

Un incurable optimisme emplit ce poème : tout passe, et nous passons ; nous souffrons, nous saignons ; et la nature est impassible. Rien ne blesse Lamartine : il aime, il admire, il croit ; tout est harmonie et beauté[1]. Le mal et la laideur n’existent que pour l’esprit qui ne sait pas, pour l’œil qui ne voit pas : ainsi va-t-il, imprégnant la nature et l’humanité des couleurs splendides de son âme. Nul ne fut mieux fait pour chanter l’hymne de l’espérance ; et l’on ne peut s’étonner des accents que firent entendre son éloquence et sa poésie, lorsqu’il éleva jusqu’à lui nos misères sociales et nos inquiétudes politiques. Il chanta, avec plus de force et de fougue qu’on n’aurait cru, les grandes idées démocratiques, la fraternité des peuples, le cosmopolitisme humanitaire, et c’est ainsi qu’aux premiers jours de 1848 il fut maître de la France : il en exprimait toutes les illusions naïvement généreuses, en laissant tomber sur les foules les consolantes idées dont il avait toujours vécu.

Mais il faut bien reconnaître que cet optimisme a besoin de vague pour subsister : à trop rigoureusement analyser les idées, à regarder de trop près la nature, il faut que le désenchantement, que le pessimisme apparaissent ; et la ressource suprême de l’optimisme, c’est d’abandonner ce monde et cette vie au mal, pour s’attacher aux infinies compensations que la foi chrétienne promet. Lamartine n’a pas voulu sacrifier le présent ni l’univers : il a tout effacé en idéalisant tout ; il n’a mis la beauté partout qu’en émoussant le caractère.

Là est la cause de l’impression que donnent les paysages de Jocelyn. Ce n’est plus l’extrême simplification des Méditations, cette élimination de l’accident et de l’individuel, pour ne laisser paraître qu’une sorte de type irréel et universel des choses, support du sentiment pur. Ici Lamartine a voulu peindre : il a prodigué les couleurs, et ses descriptions pourtant ne sortent pas. Elles ne s’organisent pas en tableaux. Je ne vois pas ces Alpes[2], neigeuses ou fleuries ; dans l’ample écoulement de la poésie, mon impression

  1. Cf. Jocelyn, 4e époque ; Médit. 5e.
  2. Jocelyn, 4e époque.