Aller au contenu

Page:Laprade - Œuvres poétiques, Pernette, Lemerre.djvu/101

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
91
LES FRANCS-CHASSEURS.


<< Tu sais bien qui nous vaut cette honte et ce deuil !
Quel est l’homme enivré de sang et fou d’orgueil,
Qui nous ôta l’honneur et corrompit l’histoire
En nous tenant quinze ans gorgés de fausse gloire ;
Qui courba tant de fronts fiers devant les bourreaux,
Qui fit tant de laquais avec tant de héros ;
Ce contempteur profond de la nature humaine
Qu’il nous faut, à jamais, charger de notre haine !
L’invasion du sol, les périls d’aujourd’hui,
Nos propres lâchetés, tout est son œuvre à lui !
Chacun, lui rétorquant sa première insolence,
A droit de lui crier : Qu’as-tu fait de la France ?
Mais laissons là cet homme et son trône abattu,
Nous chez qui le vieux sang garde quelque vertu,
Qui, sauvés à demi par notre solitude,
Sommes demeurés purs malgré la servitude ;
Oublions notre haine et ce joug détesté :
Montrons ce que l’on peut avec la liberté !
Je sais qu’en ces déserts où Dieu seul nous contemple
Nous luttons ignorés, sans même être un exemple !
Pour l’honneur du pays nos combats seront vains,
Mais notre propre honneur reste entier dans nos mains ;
Et plus d’un parmi nous va couronner sa vie
Par une de ces morts qu’à tout âge on envie.
Dieu veuille, mes enfants, se souvenir des vieux,
Et m’adresser un coup dont je serai joyeux !
De par mes cheveux blancs j’ai droit de préséance ;
Je servais avant vous et j’adorais la France ;
Puissé-je, en vous léguant un avenir plus doux,
Moi, venu le premier, m’en aller avant vous ;
Heureux de voir crouler d’une chute profonde
Ce despote sanglant qui pesait sur le monde ! »