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Page:Laprade - Œuvres poétiques, Pernette, Lemerre.djvu/100

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PERNETTE.


Sombre entre tous, chantant, jusqu’alors, sans mot dire,
Le vieux soldat du Rhin eut un amer sourire ;
Il secoua la tête et, d’un ton méprisant,
Il s’écria, honteux des hommes d’à présent :

« Les bois sont des remparts, mais il faut les défendre,
Et quand le tocsin parle il faut savoir comprendre.
Il faut qu’un peuple entier ne soit pas endormi,
Lorsque les gens de cœur marchent à l’ennemi.
Combien se sont levés dans toute notre France ?
Quel bourg a fortement voulu sa délivrance ?
Nous voilà seuls, trahis, pas un n’ose bouger ;
Comme un libérateur on reçoit l’étranger.
Toute la nation, dans ses cités en fêtes,
Semble se réjouir de ses propres défaites,
Je ne reconnais plus la terre où je suis né !
A quoi, sur mes vieux jours, suis-je donc condamné !
Moi, qui l’ai vu, ce peuple, en sa liberté fière,
De vingt rois en un jour nettoyer sa frontière !
Le vieux Jacque en était, de ces durs bataillons.
Qui donc en chiens couchants m’a changé ces lions ?
Oui, certes, à défaut du plomb sur qui je compte,
Moi, qui vis ces temps-là, je mourrai de ma honte. »

Ces mots touchèrent droit chez l’indulgent docteur
Le seul ressentiment qui vibrât dans son cœur ;
Le seul nom qu’ici-bas il ne pouvait absoudre
Passa dans son esprit comme un feu sur la poudre ;
La colère éclata chez cet homme de paix ;
Ses yeux dardaient l’éclair sous leurs sourcils épais.
Et, quittant sa douceur et les notes frivoles,
Sa voix comme un clairon fit sonner ces paroles :