Aller au contenu

Page:Laprade - Œuvres poétiques, Pernette, Lemerre.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
89
LES FRANCS-CHASSEURS.


Le cavalier prudent soulageait sa monture.
Alors la causerie allait son plus grand train ;
Le vieux Jacque entonnait son magique refrain,
Et tous deux suscitaient dans l’âme populaire
Tantôt la bonne humeur et tantôt la colère.

« Bien, disait le docteur, nous avons du jarret !
En trois pas nous serons chez nous, dans la forêt.
Nos vrais remparts sont là, sous ces vertes murailles ;
Nous pouvons, à coup sûr, y livrer nos batailles ;
Que l’étranger y monte, il n’en reviendra plus.
Défendons ces créneaux en hommes résolus.
Là, contre des soldats dressés dans une ville,
Aux mains du franc-chasseur un fusil en vaut mille.
Au bord de ces ravins où l’on rampe à genoux,
Chaque arbre nous connaît et combattra pour nous.
Bois sacrés, chemins verts, défilés des montagnes,
Où nous avons tous fait nos premières campagnes,
Où joyeux, oublieux du froid et de la faim,
Menant la chasse ardente ou les rêves sans fin,
Nous avons dans l’air vif trempé nos jeunes fibres
Et connu le bonheur d’être seuls, d’être libres !
Tant que vous prêterez votre ombre à ces sommets,
L’étranger contre nous ne prévaudra jamais,
Et nul homme de cœur ne subira de maîtres,
S’il a pour vieux amis vos sapins et vos hêtres.
Respectez, laboureurs, ces forêts des hauts lieux ;
Gardez à vos enfants ce legs de vos aïeux ;
N’allons pas de nos mains, ô Celtes infidèles,
Démanteler, là-haut, nos vieilles citadelles ;
Conservons aux vaincus ces abris redoutés !
Qui sape nos forêts, sape nos libertés. »