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Page:Larra - Le Pauvre Petit Causeur, trad. Mars, 1870.djvu/117

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avec leur impartialité, de l’autre les auteurs avec leurs œuvres. La nature, en leur concédant avec l’immense privilège de leur supériorité, l’incalculable influence qu’exerce le talent sur le commun des hommes, leur donna une arme aussi puissante non pas pour la retourner contre ses hauts desseins, mais pour contribuer au bien de l’humanité, pour lui montrer les premiers la route. Cette obligation sacrée, ils ne peuvent la mettre de côté sans se couvrir d’ignorance et de culpabilité. Les hommes de talent sont ceux qui commencent à instruire les nations. N’en avons-nous aucun parmi nous ? Qu’ils se montrent, donc, s’il y en a, qu’ils conquièrent par leur générosité et leur mérite le prix et le tribut de considération qu’on leur refuse. La vérité, triste vérité, est qu’il leur faut quelque appui. Mais ce n’est la vérité que jusqu’à un certain point. Il y a mille chemins : si le plus large, si le plus droit ne leur est point ouvert, à quoi sert le talent ? Qu’ils prennent les détours, et qu’ils accomplissent leur haute mission. En aucune époque, si désastreuse qu’elle soit, les matières ne manquent à un homme de talent ; s’il ne les a pas toutes à sa disposition, il en a quelques-unes. On ne peut parler ! On ne peut agir ! Misérables échappatoires, tristes prétextes de notre paresse. Sont-ce des efforts doubles qu’il faut faire ? Qu’on les fasse. Double sera le prix qui les attend, plus grande la gloire qui les couronnera. Oh ! si nous pouvions nous flatter d’avoir ce talent supérieur ! Nous n’hésiterions pas un instant. Malheureusement nos forces ne suffisent qu’à dire des vérités ; si elles suffisaient à les combattre nous ne serions pas les derniers à entonner ce chant de guerre.

Que les poètes fassent des œuvres de mérite ; si le public les apprécie peu tout d’abord, qu’ils redou-