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Page:Larra - Le Pauvre Petit Causeur, trad. Mars, 1870.djvu/140

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je liai vite amitié avec lui, et plein de regret je cherchai à lui persuader de s’en retourner chez lui le plus tôt possible tant que sérieusement il voyagerait dans tout autre but que celui de se promener. Comme il s’étonnait du propos, il me fallut m’expliquer plus clairement. « Tenez, lui dis-je, Monsieur Sans-Délai, c’est ainsi qu’il s’appelait ; vous venez avec la résolution de passer quinze jours ici, et d’arranger pendant ce temps vos affaires. — Certainement, me répondit-il. Quinze jours, et c’est beaucoup. Demain pendant la matinée nous cherchons un généalogiste pour mes affaires de famille ; le soir il parcourt ses livres, découvre mes ancêtres, et dans la nuit je sais qui je suis. Quant à mes réclamations, après-demain je les présente fondées sur les preuves qu’il m’a fournies, légalisées en bonne forme ; et comme ce sera une chose claire et de justice irréfutable (car seulement dans ce cas je ferai valoir mes droits), au troisième jour le cas se juge, et je suis maître de mon bien. Quant à mes spéculations, au placement de mes capitaux, le quatrième j’aurai présenté mes offres. Elles seront bonnes ou mauvaises, admises ou rejetées sur-le-champ, cela fait cinq jours ; pendant les sixième, septième et huitième je vois ce qu’il y a à voir dans Madrid ; je me repose le neuvième ; le dixième je prends ma place dans la diligence, s’il ne me convient pas de rester plus longtemps ici, et je retourne chez moi ; sur les quinze jours, il m’en reste encore cinq. » À ces mots de M. Sans-Délai, j’essayai de réprimer une envie de rire qui, depuis un moment déjà, me travaillait tout le corps, et si mon éducation suffit à refouler mon inopportune jovialité, elle ne fut pas assez forte pour empêcher d’arriver à mes lèvres un vague sourire d’étonnement et de regret que ses plans entreprenants