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Page:Larra - Le Pauvre Petit Causeur, trad. Mars, 1870.djvu/98

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il a un petit ruban attaché à la boutonnière et une petite croix à l’ombre du revers de son habit ; c’est un personnage enfin, dont la condition, la famille et les moyens ne se seraient opposés aucunement ni à ce qu’il reçût une éducation plus choisie, ni à ce qu’il adoptât des manières plus agréables et plus séduisantes. Mais la vanité s’est emparée de lui par où elle s’empare presque toujours du tout ou de la plus grande partie de notre classe supérieure, et de toute notre classe inférieure. Son patriotisme est tel qu’il donnerait toutes les beautés de l’étranger pour un doigt de son pays. Cet aveuglément l’a conduit à se charger de toutes les responsabilités qu’entraîne une tendresse aussi inconsidérée ; de sorte qu’il défie qu’il y ait des vins comme ceux d’Espagne, ce en quoi il peut bien avoir raison, qu’il défie qu’il y ait d’éducation comme l’éducation espagnole, ce en quoi il pourrait bien ne pas l’avoir ; au lieu de professer que le ciel de Madrid est très-pur, il protestera que nos matrones sont les plus enchanteresses de toutes les femmes ; c’est un homme, enfin, qui vit d’exclusivisme, et duquel il en est à peu de chose près comme d’une parente à moi, qui se meurt d’enthousiasme pour les bosses, tout simplement parce qu’elle eût un amant qui portait une excroissance assez visible sur les deux omoplates.

Il n’y a pas à lui parler, donc, de ces usages sociaux, de ces égards mutuels, de ces dissimulations polies, de cette délicatesse de rapports qui établit entre les hommes une précieuse harmonie, en disant seulement ce qui doit plaire, et en taisant toujours ce qui peut offenser. Sa passion est de prendre le frais aux premières lueurs de l’aube, comme il le dit d’habitude, et quand il a un ressentiment, il vous le déclare face à face. Comme il a brisé tous les freins, il dit des compli-