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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/141

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ORIGINALITÉ DE RACINE.

y prenait des sujets si copieux que, même en les choisissant avec un grand sens du théâtre, il lui fallait de grands efforts pour les resserrer dans les limites de temps, de lieu et d’action. De là ses gaucheries. Ses chefs-d’œuvre et les pièces de sa décadence sont le résultat tantôt d’un accord, tantôt d’un conflit entre la nature de son génie et l’état de formation où il avait pris la tragédie. Ses chefs-d’œuvre toutefois étaient la consécration du genre, et, jusqu’au bout, à travers les perfectionnements et les altérations, dans le progrès et la décadence, la tragédie française restera ce qu’elle était devenue entre ses mains.

Cette forme commune, où chacun mettait son âme, grande ou médiocre, Corneille l’avait remplie d’héroïsme. Le héros est celui qui pense et agit grandement, d’après un idéal de vertu et de noblesse. Par suite, la faculté maîtresse du héros est la volonté. Et ses plus belles victoires sont celles qu’il remporte sur lui-même, car, s’il est héros, il est homme et il a des passions.

De toutes les passions, la plus universelle et la plus forte est l’amour, dont la tragedie française faisait son principal ressort. L’intérêt de la tragédie cornélienne est donc dans la lutte du héros contre l’amour et, accessoirement, contre les sentiments, légitimes ou coupables, qui font obstacle à une vertu dominante. D’un seul mot, le ressort constant de la tragédie cornélienne est la lutte de la volonté contre la passion au profit du devoir. Dans le Cid, l’honneur et le devoir filial luttent contre l’amour ; dans Horace, le patriotisme lutte contre l’amour et le sen-