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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/15

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ENFANCE ET JEUNESSE.

En attendant, Racine pouvait se reposer sur l’affection de sa grand’mère : à elle seule, elle était devenue toute sa protection domestique. En 1649, après son veuvage, Marie des Moulins s’était retirée à Port-Royal-des-Champs. Humble et dévouée, « la pauvre madame Racine » s’y employait de son mieux à servir la communauté, malgré les tracasseries qu’elle éprouvait de quelques hôtes de la maison, religieuses ou valets. On imagine la détresse morale de la vieille grand’mère, dans cette situation de pieuse domesticité. Elle va être séparée de son petit-fils pendant des années, car, après son départ de la Ferté-Milon, il sera envoyé au collège, à Beauvais, et il ne viendra la rejoindre qu’en 1655. Lorsqu’ils se retrouveront, quel élan de joie mutuelle, tempéré par la retenue en toutes choses et l’esprit de renoncement qui étaient la règle de la maison ! Mais une aïeule est toujours une aïeule, même à Port-Royal. On songe aux rares paroles que Marie des Moulins échangeait avec Racine adolescent, et aux regards dont elle le suivait dans les cours et les jardins du monastère.

La tendresse est un don de la nature, mais elle se développe par la souffrance. À sa famille et aux circonstances de sa première jeunesse, à son besoin d’affection favorisé ou contrarié, aux deuils et aux séparations, à l’affection douloureuse que lui témoignaient les uns, à la sécheresse égoïste qu’il rencontrait chez les autres, Racine dut en partie cette profondeur de sensibilité qui, dans la vie, lui fit verser tant de larmes et, dans l’art, lui donna la faculté de l’émotion à un degré unique de son temps.