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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/153

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LA TRAGÉDIE DE PASSION.

rideau se lève, une longue préparation s’est faite dans l’âme des personnages. Leur situation, pour ainsi parler, est si mûre, qu’il leur suffit de quelques mots pour nous mettre au courant. Avec eux, l’exposition elle-même est action. Ils tendent de tout leur désir et de toute leur volonté vers un but prochain. Aussi la concentration que cherche la tragédie classique est-elle pour eux une nécessité. Il semble que le poète n’ait plus qu’à laisser aller l’action ainsi conçue et qu’elle marche d’elle-même vers le dénouement.

L’intérêt résultant d’actions nécessaires, le poète n’a pas besoin, pour le produire, de moyens artificiels. Ceux de Racine sont les plus simples du monde. Il semble qu’aucun effort d’invention n’ait été nécessaire pour les trouver. Les personnages se rencontrent, l’action s’engage et se noue avec une telle aisance, que cet art délicat semble de la facilité la plus aisée. Il faut réfléchir pour apprécier à leur valeur la sûreté de ces préparations et de ces combinaisons. Le plus complet éloge que l’on puisse faire des tragédies de Racine, c’est qu’il est impossible de les imaginer autres qu’elles ne sont. Les faits ne pouvaient pas se passer d’une autre manière ; on ne voit rien à ajouter, rien à retrancher. Cet art donne l’illusion de la vie elle-même.

Pour apprécier la nouveauté originale de cette simplicité, il faut la comparer non seulement à la complexité ingénieuse de Corneille, mais aux combinaisons laborieuses, invraisemblables, souvent extravagantes, de la tragédie dans la première moitié du siècle. Racine rompt avec les procédés factices