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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/170

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RACINE.

Comme tout ce qui est original, cette vérité et cette force avaient pour résultat de surprendre et de choquer leurs premiers spectateurs. M. Brunetière a montré cet effet dans une page vigoureuse qui répond à celle où Taine voit surtout dans Racine le peintre de la coquetterie et de la pudeur féminines : « Racine, dit-il, a enfoncé si avant dans la peinture de ce que les passions de l’amour ont de plus tragique et de plus sanglant qu’il en a non seulement effarouché, mais littéralement révolté la délicatesse aristocratique de son siècle. » Les deux pages subsistent, car il y a dans Racine l’amour réservé et l’amour effréné, Junie et Monime, Roxane et Phèdre. Mais, de ces deux sortes d’amour, c’est la passion douloureuse et meurtrière que le poète a représentée avec prédilection.

En faisant de l’amour le ressort constant de sa tragédie, Racine s’imposait la nécessité d’en varier singulièrement la peinture, sous peine de se condamnera la monotonie. Il trouve la variété dans les différences de sexe, d’âge, de condition, de caractère, de situation, dans le degré et le moment. Au point de vue de la conception et de la marche de ses pièces, il évite la monotonie en mêlant l’amour à d’autres passions qui le traversent et le combattent. L’amour de Pyrrhus se heurte à la fidélité conjugale, celui de Bérénice à la raison d’État. Il arrive que d’autres sentiments, sans être en lutte directe avec lui, le relèguent au second plan : ainsi l’ambition dans Britannicus et dans Iphigénie. Mais, s’il est secondaire, il n’est pas sacrifié ; il a toujours son importance propre.