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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/171

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LES SUJETS.

Surtout, il ne diminue jamais la grandeur des caractères et des situations. Au contraire, il rend ceux-là plus humains et celles-ci plus poignantes. Lorsque Mithridate rassemble les débris de sa puissance pour une lutte suprême, l’amour et la jalousie ne le rendent pas ridicules. Au contraire, ses tourments d’amoureux et ses angoisses de roi s’exaspèrent les uns par les autres. Mithridate était une des pièces sur lesquelles, dans le jugement que l’on a vu plus haut, Napoléon Ier s’appuyait pour blâmer « l’éternel amour» répandu sur les pièces de Racine. Il n’aurait eu, cependant, qu’à se souvenir pour se voir lui-même, et plusieurs fois, dans des situations analogues à celles de Mithridate. En Italie, pendant sa première campagne, jeune mari de Joséphine, il l’accablait, entre deux batailles, de lettres brûlantes. La nouvelle de sa trahison fut un des motifs qui lui firent quitter l’Égypte. À l’île d’Elbe, parmi les griefs qui le déterminèrent à tenter une dernière fois la fortune, étaient ceux de l’époux et du père. Il disait, la voix tremblante d’émotion : « Ma femme ne m’écrit plus. Mon fils m’est enlevé comme jadis les enfants des vaincus pour orner le triomphe des vainqueurs. On ne peut citer dans les temps modernes l’exemple d’une pareille barbarie. » La grandeur de Napoléon n’aurait rien perdu à ce qu’un Racine, s’emparant de ces paroles, les revêtit de sa poésie.