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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/43

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PREMIÈRES TRAGÉDIES.

se souvenant de quelque chose, fit un soupir ». Lorsqu’il faut songer au retour, Acante admire le soleil couchant et prie ses amis « de considérer ce gris de lin, ce couleur d’aurore, cet orangé, et surtout ce pourpre, qui environnent le roi des astres ».

Le récit de cette journée offre un mélange de sérieux et de gaieté, un air de bonne compagnie — quoique la verve de Gélaste soit un peu grosse — que l’on peut tenir pour le ton habituel de ces réunions. Ce ton devenait plus libre et plus vif lorsqu’à la société des quatre amis se joignaient des hommes de lettres, comme Chapelle le débraillé, et Furetière le caustique, de grands seigneurs comme le duc de Vivonne et le chevalier de Nantouillet, des officiers comme M. Poignant et M. d’Espagne, de futurs prélats, comme M. de Bernage. En ce cas, le rendez-vous n’était pas chez Boileau, mais au cabaret : au Mouton blanc, à la Pomme de pin, à la Croix de Lorraine. On verra bientôt que l’idée des Plaideurs naquit au Mouton blanc. « Le poème de la Pucelle, de Chapelain, raconte Louis Racine, étoit sur une table, et on régloit le nombre de vers que devoit dire un coupable sur la qualité de sa faute. Elle étoit fort grave quand il étoit condamné à en lire vingt vers ; et l’arrêt qui condamnoit à lire la page entière étoit l’arrêt de mort. » C’est au Mouton blanc que Racine contribua pour sa part à la plaisanterie du Chapelain décoiffé. Racine était l’obligé de Chapelain, mais pouvait-il témoigner de la reconnaissance et du respect à un si mauvais poète, après avoir rompu avec Port-Royal par amour de la poésie et de l’indépendance ?