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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/48

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RACINE.

petit chef-d’œuvre de critique pénétrante et courtoise. Non seulement les remarques justes y sont nombreuses, mais le génie de Racine est deviné. « Depuis que j’ai lu le Grand Alexandre, disait Saint-Évremond, la vieillesse de Corneille me donne bien moins d’alarmes, et je n’appréhende plus tant de voir finir avec lui la tragédie ; mais je voudrois qu’avant sa mort il adoptât l’auteur de cette pièce, pour former, avec la tendresse d’un père, son vrai successeur. » D’autre part, il reprochait « à un si bel esprit » de n’avoir pas « le bon goût de cette antiquité que Corneille possédoit si avantageusement ». Même, il regrettait l’absence de ce que, bien plus tard, le romantisme, croyant l’inventer, appellera la « couleur locale ». Surtout, il regrettait que la place dominante faite non seulement à l’amour, mais à la galanterie, diminuât la grandeur des figures historiques : « Qu’on ne croye pas, concluait-il, que le premier but de la tragédie soit d’exciter des tendresses dans nos cœurs. Aux sujets véritablement héroïques, la grandeur d’âme doit être ménagée devant toutes choses. »

Dans une lettre de remerciement à Saint-Évremond, le vieux Corneille se montrait fort reconnaissant pour lui, mais fort aigri par le goût public : « Vous m’honorez de votre estime, lui disait-il, en un temps où il semble qu’il y ait un parti pour ne m’en laisser aucune. » Mais, s’il ne prévoyait pas le sens historique du poète qui écrira Britannicus, il marquait avec une grande sûreté de vue la différence capitale qui va distinguer le nouveau théâtre du sien : « Vous flattez agréablement mes senti-