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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/57

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carrière théâtrale.

« Tous les héros ne sont pas faits pour être des Céladons. »

Saint-Évremond s’occupait encore de la nouvelle tragédie, mais il ne retrouvait pas la justesse et l’équité avec lesquelles il avait apprécié Alexandre. La pièce, écrivait-il, « a besoin de grands comédiens, qui remplissent par l’action ce qui lui manque ». Il trouve qu’elle « a bien de l’air des belles choses » et qu’« il ne s’en faut presque de rien qu’il y ait du grand ». Il accorde et retire :

Elle m’a semblé très belle, mais je crois que l’on peut aller plus loin dans les passions, et qu’il y a encore quelque chose de plus profond dans les sentiments que ce qui s’y trouve ; ce qui doit être tendre n’y est que doux, et ce qui doit exciter de la pitié ne donne que de la tendresse. Cependant Racine doit avoir plus de réputation qu’aucun autre après Corneille.

L’explication de ce singulier jugement c’est que, plus Racine dégageait son originalité, plus il éloignait de lui la génération qui avait admiré Corneille. C’est le même sentiment que traduisit à sa manière Mme de Sévigné lorsque, de Vitré, elle écrivait à sa fille, moitié d’après la pièce, moitié d’après les acteurs : « Andromaque me fit pleurer plus de six larmes ; c’est assez pour une troupe de campagne. » En revanche, dit Fontenelle, « les femmes, dont le jugement à tant d’autorité au théâtre français », adoptèrent l’auteur d’Andromaque comme leur poète. Il ajoutait : « J’en excepte quelques femmes, qui sont des hommes. » N’était-ce point le cas pour plusieurs héroïnes de la génération précédente, et même pour Mme de Sévigné, très femme à certains égards, fort peu à d’autres ?