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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/74

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RACINE.

De Bérénice à Bajazet, qui fut représenté aux environs du 5 janvier 1672, la différence est grande, à tous les points de vue. De Rome, la scène passe à Constantinople et de l’histoire ancienne à l’histoire contemporaine ; le drame succède à l’élégie, et une « grande tuerie », comme disait Mme de Sévigné, remplace la séparation mouillée de larmes. Au lieu de reprocher au génie de Racine quelque monotonie, il faudrait plutôt admirer une variété et une souplesse qui vont de la mythologie à l’empire romain, font alterner une reine juive avec un sultan, Mithridate avec Iphigénie, et remontent jusqu’aux demi-dieux de la Fable avant d’aborder le Dieu de la Bible.

Que le sujet de Bajazet soit vrai ou ait pour seul fondement les récits fantaisistes d’un ambassadeur, M. de Cézy, la hardiesse de Racine n’en est pas diminuée. C’était toujours un sujet contemporain, c’est-à-dire une tentative originale, et, quoique les Turcs fussent peu connus, il y fallait un grand souci de vérité. L’éloignement géographique ne remplaçait qu’en partie celui du temps, condition habituelle de la tragédie française. L’innovation du poète semblera plus audacieuse encore, si l’on admet la conjecture assez vraisemblable d’après laquelle, à travers Bajazet et Roxane, il aurait évoqué Christine et Monaldeschi.

À cette nouveauté du sujet se joignait une telle beauté d’exécution que les partis pris et l’envie se trouvèrent un moment désarmés. Mme de Sévigné, avant d’avoir vu le nouveau spectacle, constatait à contre-cœur l’admiration générale, quitte à épiloguer ensuite. La suite de ses sentiments est amusante et