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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/86

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RACINE.

maque et de Bérénice ressort plus nettement dans Iphigénie ; elle est ouvertement déclarée dans Phèdre.

De là ce que Racine appelle modestement « la route un peu différente de celle d’Euripide qu’il a suivie pour la conduite de l’action ». En réalité, tout en « prenant son sujet » au poète grec et même « en enrichissant sa pièce de tout ce qui lui a paru le plus éclatant dans la sienne », il a profondément transformé le caractère principal, celui de Phèdre, — qui, bientôt, donnait son seul nom à la pièce, primitivement appelée, comme on vient de le voir, Phèdre et Hippolyte, — alors que, dans la tragédie grecque, Hippolyte est le protagoniste.

Dans ce rôle de Phèdre, il mettait au premier plan ce qui est secondaire dans la pièce grecque, l’horreur que Phèdre éprouve pour le crime et sa lutte contre elle-même. Par là, Racine, au sujet duquel un jésuite contemporain, dans une dissertation en forme, posait la question de savoir « s’il était poète et s’il était chrétien », rattachait directement son théâtre à la morale chrétienne. Bien plus, il éprouvait le besoin de recourir à la morale janséniste. Il faisait de la grâce le ressort de sa pièce. La grâce, c’est la faveur de Dieu, nécessaire au chrétien pour éviter le mal. C’est elle qui manque à Phèdre, « malgré soi perfide et incestueuse », disait Boileau, « engagée, disait Racine lui-même, par sa destinée et par la colère des dieux, dans une passion illégitime, dont elle a horreur toute la première ». Là est l’originalité de la Phèdre française. Mais ce n’est pas ce que la majorité des contemporains y vit d’abord. Il fallut même que ceux dont