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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/111

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causé plus d’une heure sur la situation de la France : de là, il est revenu sur les gens qui l’avaient trahi, sur les fatalités nombreuses qui l’avaient entraîné ; la sécurité perfide causée par son mariage avec l’Autriche ; l’aveuglement des Turcs, qui font la paix précisément quand ils devaient faire la guerre ; celui de Bernadotte, qui obéit à son amour-propre et à ses ressentiments, plutôt qu’à sa véritable grandeur et à sa stabilité ; une saison rigoureuse outre mesure ; jusqu’à la supériorité d’esprit de M. de Narbonne à Vienne, qui, découvrant l’Autriche à nu, la força de se hâter ; enfin les succès mêmes de Lutzen et Bautzen, qui, ramenant le roi de Saxe à Dresde, le mirent, lui Napoléon, en possession des signatures hostiles de l’Autriche, et ne lui laissèrent plus aucun faux-fuyant. « Quel malheureux concours pourtant ! disait-il d’un accent tout à fait expressif ; et toutefois, continuait-il, le lendemain de la bataille de Dresde, François avait envoyé déjà quelqu’un pour traiter. Il fallait que l’échec de Vandamme arrivât à point nommé comme pour aider à l’arrêt du destin. »

M. de Talleyrand, sur la conduite duquel l’Empereur revenait beaucoup, pour savoir, disait-il, quand il avait commencé véritablement à le trahir, l’avait poussé fortement à la paix au retour de Leipsick. « Je lui dois, observait-il, cette justice ; il blâma mon discours au Sénat, mais approuva fort celui au Corps Législatif. Il ne cessait de me répéter que je me méprenais sur l’énergie de la nation ; qu’elle ne seconderait pas la mienne, que je m’en verrais abandonné, qu’il me fallait m’accommoder à tout prix. Il paraît qu’il était alors de bonne foi, qu’il ne trahissait point encore. Talleyrand n’a jamais été pour moi éloquent ni persuasif ; il roulait beaucoup et longtemps autour de la même idée. Peut-être aussi, me connaissant de vieille date, s’était-il fait une manière pour moi ; du reste, il était si adroitement évasif et divagant, qu’après des conversations, de plusieurs heures, il s’en allait, ayant échappé souvent aux éclaircissements ou aux objets que je m’étais promis d’en obtenir lorsque je l’avais vu arriver, etc., etc. »

Quant aux affaires du moment et au sujet des derniers journaux qui peignaient la France en agitation toujours croissante, le résultat a été que, pour toute l’Europe, les chances de l’avenir semblaient indéfinies, multipliées, inépuisables, qu’il existait un fait constant qui nous parvenait de tous côtés, c’est que personne en Europe ne se croyait dans une attitude stable. Chacun semblait redouter ou pressentir des évènements nouveaux, etc.

L’Empereur m’a retenu à déjeuner avec lui sous la tente ; il a fait