Aller au contenu

Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vues s’étaient accomplies sous le déguisement et le mystère ; j’avais amené les choses au point que le développement en était infaillible, sans nul effort et tout naturel : aussi voit-on le pape le consacrer dans le fameux concordat de Fontainebleau, en dépit même de mes revers de Moscou ; Qu’eût-ce donc été si je fusse revenu victorieux et triomphant ? J’avais donc enfin obtenu la séparation tant désirée du spirituel d’avec le temporel, dont le mélange est si préjudiciable à la sainteté du premier, et porte le trouble dans la société au nom et par les mains mêmes de celui qui doit en être le centre d’harmonie ; et dès lors j’allais relever le pape outre mesure, l’entourer de pompe et d’hommages. Je l’eusse amené à ne plus regretter son temporel, j’en aurais fait une idole ; il fût demeuré près de moi. Paris fût devenu la capitale du monde chrétien, et j’aurais dirigé le monde religieux ainsi que le monde politique : c’était un moyen de plus de resserrer toutes les parties fédératives de l’empire, et de contenir en paix tout ce qui demeurait en dehors. J’aurais eu mes sessions religieuses comme mes sessions législatives. Mes conciles eussent été la représentation de la chrétienté ; les papes n’en eussent été que les présidents. J’eusse ouvert et clos ces assemblées, approuvé et publié leurs décisions, comme l’avaient fait Constantin et Charlemagne ; et si cette suprématie avait échappé aux empereurs, c’est qu’ils avaient fait la faute de laisser résider loin d’eux les chefs spirituels, qui ont profité de la faiblesse des princes, ou de la crise des évènements, pour s’en affranchir et les soumettre à leur tour.

« Mais, reprenait l’Empereur, pour en arriver là, j’avais dû manœuvrer avec beaucoup d’adresse, déguiser surtout ma véritable pensée, et donner tout à fait le change à l’opinion ; présenter à la pâture publique des petitesses vulgaires, afin de lui mieux dérober l’importance et la profondeur du but secret : aussi était-ce avec une espèce de satisfaction que je me voyais accusé de barbarie envers le pape, de tyrannie en matière religieuse. Les étrangers surtout me servaient à mon gré en remplissant leurs mauvais libelles de ma mesquine ambition, qui, selon eux, avait eu besoin de dévorer le misérable patrimoine de Saint-Pierre, etc., etc.[1]. Mais je savais bien qu’en résultat on me reviendrait au-dedans, et qu’au-dehors on ne serait plus à même d’y remédier. Que n’eût-on pas fait pour le prévenir, si on l’eût deviné à temps ; car quel empire désormais sur tous les pays catholiques, et

  1. On trouve dans les dictées de Napoléon à Montholon, tome 1er, des Notes sur les quatre concordats de M. l’abbé de Pradt, dans lesquelles se trouvent des développements précieux de certains passages de ce chapitre ; et auxquelles ce chapitre, à son tour, ne laisse pas que d’ajouter quelques lumières et quelque intérêt.