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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/179

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Doutes historiques ; le duc d’Orléans régent ; madame de Maintenon ; son mariage avec Louis XIV.


Samedi 31.

L’Empereur s’est levé de très bonne heure. Il a fait le tour du parc tout seul. À son retour, ne voulant, disait-il, faire réveiller personne, il avait saisi mon fils, qu’il avait trouvé debout, et lui a dicté deux heures sous la tente. Nous avons tous déjeuné avec lui ; puis est venue la promenade en calèche. Durant la course, l’Empereur parlait de doutes historiques : après plusieurs citations assez curieuses, il a conclu par une circonstance personnelle au régent. « Si Louis XV était mort enfant, disait-il, et rien n’était si possible, qui eût douté que le duc d’Orléans n’eût été l’empoisonneur de toute la maison royale ? qui eût osé le défendre ? Il a fallu qu’un enfant très délicat survécût pour qu’on pût sur ce point rendre justice à ce prince. » L’Empereur alors revenait sur le caractère du duc d’Orléans, et surtout sur ses torts dans l’affaire des princes légitimés. « Il s’y était dégradé, répétait-il ; et ce n’est pas que la cause de ceux-ci ne fût mauvaise, Louis XIV usurpait un droit en les appelant à la succession. La nation, à l’extinction de la maison royale, rentre indubitablement dans ses droits, c’est à elle à choisir. L’acte de Louis XIV n’était sans doute qu’une erreur de sa grande élévation ; il pensait que tout ce qui sortait de lui devait être grand, et il semblait se douter pourtant que tout le monde ne penserait pas comme lui ; car il avait pris ses précautions pour affermir son ouvrage, en donnant ses filles naturelles aux princes de son sang, et faisant épouser à ses bâtards des princesses de sa maison. Quant à la régence, il est bien sûr qu’elle revenait de droit au duc d’Orléans. Le testament de Louis XIV n’était qu’une niaiserie : il violait nos lois fondamentales : nous étions une monarchie, et il nous donnait une république pour régence, etc. »

De là, passant à madame de Maintenon, l’Empereur lui trouvait une des carrières les plus extraordinaires ; c’était la Bianca-Capello1 du temps, disait-il, moins romancière, mais aussi pas si amusante. Et poursuivant ses doutes historiques, il ne revenait pas du mystère de son mariage. Il était parfois tenté de le regarder comme un problème, malgré tout ce qu’en avaient dit les mémoires du temps.

« Le fait est, observait-il, qu’il n’existe et n’a jamais existé aucune preuve officielle et authentique. Or quel pouvait être le motif de Louis XIV de tenir cette mesure si strictement secrète pour son temps et pour l’avenir ? ou comment la famille des Noailles, parente de madame de Maintenon, n’a-t-elle jamais rien laissé percer à cet