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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/182

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m’afflige cruellement. – Eh ! que ne me disiez-vous cela ? lui dit l’Empereur, je n’ai point envie de vous tuer ; allez vous coucher : bonne nuit, M. Daru. » Voilà, certes, un trait caractéristique et bien propre à détromper des fausses idées dans lesquelles nous étions généralement dans ce temps-là sur le naturel intraitable de Napoléon. Mais, je ne sais par quelle fatalité, je le répète sans cesse, les traits de cette nature demeuraient perdus au milieu de nous, tandis que circulaient avec tant d’activité, au contraire, les fables et les absurdités qui pouvaient lui être défavorables. Serait-ce que les courtisans réservaient pour le château seul leur courtisanerie, et cherchaient un contrepoids au-dehors dans une apparence d’opposition et d’indépendance ? Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il en était ainsi, et que celui qui se serait complu à répéter ces traits dans les salons se serait entendu dire probablement qu’il les avait inventés, on y aurait passé pour un benêt d’avoir pu les croire.

Durant le dîner, l’Empereur plaisantait sur la parure fanée de ces dames. Ce serait bientôt, disait-il, celle de ces vieilles avares qui se pourvoient, chez les revendeuses. Ce n’était plus la fraîcheur ni l’élégance des Leroi, des Despeaux, des Herbault. Ces dames demandaient de l’indulgence pour Sainte-Hélène. Les maris rappelaient à l’Empereur combien il était difficile pour elles aux Tuileries. C’était le fléau, disait-on, la ruine des ménages. L’Empereur riait, il n’en convenait pas. « Cela avait été imaginé par ces dames, disait-il, comme prétexte ou justification auprès de leurs maris. » De là on s’est étendu sur notre luxe ici. L’Empereur a dit qu’il avait commandé à Marchand de lui faire porter l’habit de chasse qu’il avait en ce moment jusqu’à extinction ; et certes il était déjà bien avancé.


Campagne de Saxe ou de 1813 – Violente sortie de Napoléon – Réflexions ; analyses – Batailles de Lutzen, Wurschen – Négociations – Batailles de Dresde, de Leipsick, de Hanau, etc., etc..


Lundi 2.

L’Empereur, prenant un ouvrage qui traitait de nos dernières campagnes, l’a parcouru quelque temps, puis l’a jeté, disant : « C’est une véritable rapsodie, un tissu de contresens et d’absurdités. » S’arrêtant alors sur ce sujet de conversation, il a causé longuement sur la trop fameuse campagne de Saxe. Ses observations ont été principalement morales, peu ou point militaires. Voici ce que j’en ai recueilli de plus saillant : « Cette mémorable campagne, disait-il, sera le triomphe du courage inné dans la jeunesse française, celui de l’intrigue et de l’astuce dans la diplomatie anglaise, celui de l’esprit chez les Russes, celui de l’impudeur dans le cabinet autrichien ; elle marquera l’époque de la désorganisation des sociétés politiques, celle de la grande sépa-