Aller au contenu

Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/183

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ration des peuples avec leurs souverains ; enfin la flétrissure des premières vertus militaires : la fidélité, la loyauté, l’honneur. On aura beau écrire, commenter, mentir, supposer, il faudra toujours en arriver à ce hideux et triste résultat, et le temps en déroulera la vérité et les conséquences.

« Mais ce qu’il y a de bien remarquable ici, c’est que les infamies au fond demeurent étrangères aux rois, aux soldats et aux peuples. Elles ne sont l’ouvrage que de quelques intrigants à épée, de quelques casse-cou politiques, qui, sous le spécieux prétexte de secouer le joug de l’étranger et de reprendre l’indépendance nationale, n’ont au fait que vendu et livré sciemment leurs maîtres particuliers à des cabinets rivaux et convoiteurs. Les vrais résultats ne se sont pas fait longtemps attendre. Le roi de Saxe y a perdu la moitié de ses États ; le roi de Bavière s’est vu forcé à des restitutions bien précieuses. Qu’importait aux traîtres ? ils tenaient leurs récompenses, leurs richesses. Et ce sont les cœurs les plus droits, les âmes les plus innocentes qui présentent le spectacle solennel des plus grands châtiments. C’est un roi de Saxe, le plus honnête homme qui ait jamais tenu un sceptre, qu’on dépouille de la moitié de ses provinces ; c’est un roi de Danemark, si fidèle à tous ses engagements, dont on saisit une couronne ! Voilà pourtant ce qu’ils ont prétendu ? le retour à la morale, son triomphe !… et voilà la justice distributive d’ici-bas !…

« Du reste, j’aime à le répéter pour l’honneur de l’humanité et même des trônes, au milieu de tant d’infamies, jamais ne se trouvèrent plus de vertus. Je n’eus pas un instant à me plaindre de la personne individuelle des princes mes alliés. Le bon roi de Saxe me demeura fidèle jusqu’à extinction ; le roi de Bavière me fit loyalement prévenir qu’il n’était plus le maître ; la générosité du roi de Wurtemberg se fit particulièrement remarquer ; le prince de Bade ne céda qu’à la force et au dernier instant : tous, je leur dois cette justice, m’avertirent à temps, afin que je pusse me garantir de l’orage. Mais, d’un autre côté, que d’abominations dans les subalternes !… Les fastes militaires se dessouilleront-ils jamais de l’acte des Saxons se retournant dans nos rangs pour nous égorger ? Il est demeuré proverbe chez les soldats : saxonner, parmi eux, veut dire à présent une troupe qui en assassine une autre ; et, pour comble de douleur, c’est un Français, un homme à qui le sang français a procuré une couronne, un nourrisson de la France qui nous porte le coup de grâce ! Grand Dieu !

« Et ce qu’il y avait de pire dans ma situation, ce qui comblait mon sup-