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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/192

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les administrations, possèdent toutes les charges, jouissent de toutes les fortunes : Allez-vous-en ! Il est clair qu’ils se défendraient ; il faut donc les frapper de terreur, les mettre en fuite, et c’est ce qu’ont fait la lanterne et les exécutions populaires. La terreur en France a commencé le 4 août, lorsqu’on a aboli la noblesse les dîmes, les féodalités, et qu’on a jeté tous ces débris au peuple. Il se les est partagés, n’a plus voulu les perdre, et a tué. Alors seulement il a compris la révolution, et s’y est vraiment intéressé. Jusque-là il existait assez de morale et de dépendance religieuse parmi eux, pour qu’un grand nombre doutât que sans le roi et les dîmes la récolte pût venir comme de coutume.

Toutefois, concluait l’Empereur, une révolution est un des plus grands maux dont le ciel puisse affliger la terre. C’est le fléau de la génération qui l’exécute ; tous les avantages qu’elle procure ne sauraient égaler le trouble dont elle remplit la vie de leurs auteurs. Elle enrichit les pauvres, qui ne sont point satisfaits ; elle bouleverse tout ; dans les premiers moments, elle fait le malheur de tous, le bonheur de personne.

Le vrai bonheur social, il faut en convenir, est dans l’usage paisible, dans l’harmonie des jouissances relatives de chacun. Dans les temps réguliers et tranquilles, chacun a son bonheur : le cordonnier est aussi heureux dans sa boutique que moi sur le trône ; le simple officier jouit autant que son général. Les révolutions les mieux fondées détruisent tout à l’instant même, et ne remplacent que dans l’avenir. La nôtre a semblé d’une fatalité irrésistible ; c’est qu’elle a été une éruption morale aussi inévitable que les éruptions physiques, un vrai volcan : quand les combinaisons chimiques qui produisent celui-ci sont complètes, il éclate ; les combinaisons morales qui produisent une révolution étaient à point chez nous, elle a éclaté. »

Nous demandions à l’Empereur s’il croyait qu’il eût été possible d’arrêter la révolution à sa naissance. Il le croyait sinon impossible, du moins bien difficile. Peut-être, disait-il, aurait-on pu conjurer l’orage, ou le détourner par quelque grand acte machiavélique, en frappant d’une main de grands individus, et en concédant de l’autre à la nation, en lui accordant franchement la réformation que demandait le temps, et dont une partie avait déjà été mentionnée dans la fameuse séance royale. « Et encore tout cela, remarquait l’Empereur, n’eut-il été que se saisir de la révolution et la diriger soi-même. » Il pensait que quelque autre combinaison de la sorte eût pu réussir peut-être encore