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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/232

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en vers, et non un poème épique. Le poème épique ne comporte pas l’histoire d’un homme, mais seulement celle d’une passion ou d’un évènement. Et quel sujet encore a-t-il été prendre ? Quels noms barbares il a introduits ! A-t-il cru relever la religion qu’il pensait abattue ? Son ouvrage serait-il un poème de réaction ? Il sent du reste tout à fait le sol sur lequel il fut composé ; ce ne sont que des prières, des prêtres, la domination temporelle des papes, etc., etc. A-t-il pu consacrer vingt mille vers à des absurdités qui ne sont plus du siècle, à des préjugés qu’il ne peut avoir, à des opinions qui ne sauraient être les siennes ? C’est prostituer son talent. Quel travers ! et que ne pouvait-il pas faire de mieux ! car il a certainement de l’esprit, de la facilité, du faire, du travail. Or il était à Rome au milieu des plus riches matériaux, à même de satisfaire à toutes les recherches ; il connaissait la langue italienne ; nous n’avons pas de bonne histoire d’Italie, il pouvait la composer : son talent, sa position, sa connaissance des affaires, son rang, pouvaient la rendre excellente et classique ; il eût fait un vrai présent au monde littéraire et se fût rendu immortel. Au lieu de cela, qu’est-ce que son poème ? Que fera-t-il à sa réputation ? Il s’ensevelira dans la poussière des bibliothèques, et son auteur obtiendra tout au plus quelques minces articles, peut-être ridicules, dans les dictionnaires biographiques ou littéraires. Que si Lucien ne pouvait échapper à sa destinée de faire des vers, il était digne, convenable et adroit à lui d’en soigner un manuscrit magnifique, de l’enrichir de superbes dessins, d’une riche reliure ; d’en régaler parfois les yeux des dames, d’en laisser percer de temps à autre quelques tirades, et de le laisser en héritage, avec la défense sévère de le publier jamais. On eût alors compris ses jouissances. »

Puis, le mettant de côté, il a dit : « Passons à l’Iliade, » Mon fils a été la chercher, et l’Empereur nous en a lu quelques chants, s’arrêtant souvent pour admirer, disait-il, à son aise. Ses observations étaient précieuses, abondantes, singulières. Il s’y est attaché tellement, qu’il avait atteint minuit et demi quand il a demandé l’heure pour se retirer.


Manque de nourriture – Le vin ridiculement fixé, etc. – Retour de l’île d’Elbe – Bizarrerie du hasard, etc..


Samedi 14.

Le temps continue toujours à être détestable et à nous confiner dans nos misérables cahutes : nous sommes tous malades.