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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/233

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L’Empereur a dicté pendant une partie du jour.

À dîner nous avions littéralement à peine de quoi manger. Le gouverneur opérait successivement ses réductions. L’Empereur a ordonné qu’on cherchât à acheter quelque chose de surplus, et qu’on le payât avec ce qui proviendra de la vente de l’argenterie.

Le gouverneur a signifié que le vin demeurait fixé à une bouteille par tête, l’Empereur compris. Cela se croira-t-il ! Une bouteille pour une mère et ses enfants. C’est l’expression employée dans la note, etc.

L’Empereur, retiré chez lui, m’a fait demander. « Je ne me sens pas l’envie de dormir, m’a-t-il dit en me voyant. Je vous ai envoyé chercher pour passer la veillée, causons quelques quarts d’heure. » Et le cours de la conversation a ramené l’île d’Elbe, ses travaux, ses sensations, ses idées durant le séjour qu’il y avait fait ; enfin son retour sur le sol français et le succès magique qui l’accompagna, et dont il n’avait, disait-il, pas douté un seul instant, etc. « Et qu’on explique cela comme on voudra ou comme on pourra, a-t-il repris dans un certain moment ; mais je vous jure que je ne me sentais aucune haine directe et personnelle contre ceux que je venais renverser. C’était uniquement pour moi de la querelle politique. Je m’en étonnais moi-même, tant je me trouvais le cœur libre, aisé, même bienveillant je pourrais dire. Vous avez vu comme j’ai relâché le duc d’Angoulême ; j’en eusse fait autant du roi, ou lui eusse accordé, à son gré, asile et sûreté. Le triomphe de la cause ne tenait nullement à sa personne, et je respectais son âge, ses malheurs. Peut-être aussi lui tenais-je compte de certains ménagements que lui, nominativement, avait toujours observés à mon égard. Il est bien vrai qu’en ce moment il m’avait déclaré hors la loi, et avait mis ma tête à prix, je crois ; mais tout cela n’était à mes yeux que style de manifeste. Tous à Vienne en ont fait autant, sans m’ulcérer davantage, voire même le cher beau-père ; et de lui, c’est pourtant bien fort ! l’époux de sa fille chérie !!! etc., etc. »

Mais puisque voilà le retour de l’île d’Elbe mentionné de nouveau, c’est peut-être ici le lieu de tenir la promesse que j’ai faite plus haut au premier volume, d’en donner plus tard la relation. Que si on me demande pourquoi cette transposition, je réponds que le sujet par lui-même était délicat, que je n’avais point encore donné de preuves du véritable esprit de mon Recueil, qu’on y eût peut-être pu suspecter alors certaine malveillance ; tandis qu’aujourd’hui, que je dois avoir convaincu que mes récits sont purement philosophiques, moraux, historiques, on sentira que, quelles que soient les erreurs qu’ils contiennent,