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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/243

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et leur joie surtout était extrême quand ils apprenaient là que Napoléon n’avait pas de troupes étrangères avec lui. Sa marche était si rapide et ses mouvements si prompts, qu’on avait fait mille contes sur ses forces et leur composition. On voulait qu’il eût avec lui des Napolitains, des Autrichiens, etc., même des Turcs.

De Grenoble à Paris, ce ne fut plus qu’une marche triomphale.

Durant les trois ou quatre jours que l’Empereur demeura à Lyon, il y eut constamment plus de vingt mille âmes sous ses fenêtres ; les cris ne discontinuèrent jamais.

C’était comme un souverain qui n’aurait jamais quitté ses sujets ; il signait des décrets, expédiait des ordres, passait des revues, etc. Tous les corps, toutes les administrations, toutes les classes de citoyens s’empressaient de faire preuve de dévouement et d’hommages. Il n’y eut pas jusqu’à la garde nationale à cheval, composée de ce qu’il y avait de plus pur et de plus ardent dans le parti opposé, qui ne vînt solliciter l’honneur de garder sa personne ; mais ils furent les seuls maltraités. « Messieurs, je vous remercie de vos services, dit l’Empereur, votre conduite envers M. le comte d’Artois m’apprend trop ce que vous feriez à mon égard si la fortune venait à m’abandonner ; je ne vous soumettrai point à cette nouvelle épreuve. » En effet, M. le comte d’Artois, en quittant Lyon, n’avait trouvé, assure-t-on, qu’un seul d’entre eux qui se dévouât à le suivre à Paris ; et l’Empereur, sur qui tout ce qui était généreux avait des droits, apprenant la fidélité de ce volontaire, lui fit remettre la décoration de la Légion d’honneur.

Enfin l’Empereur, dans Lyon, administrait déjà, par des actes publics, avec cette précision, cette fermeté, cette confiance compagne d’une stabilité non interrompue. Rien en lui ne laissait apercevoir la trace des grands revers qui avaient précédé, ou des chances immenses qui pouvaient suivre, et, s’il était possible de tout raconter, j’aurais à produire une anecdote privée bien plaisante, qui prouverait quels étaient le calme du cœur et la liberté d’esprit de Napoléon au milieu de la grande crise qui, autour de lui, changeait la face de la France et allait remuer toute l’Europe.

À peine sorti de Lyon, l’Empereur fit écrire à Ney, qui se trouvait à Lons-le-Saulnier avec son armée, qu’il eût à mettre ses troupes en marche et à venir le joindre. Ney, au milieu de la confusion générale, abandonné par ses soldats, frappé des proclamations de l’Empereur, des adresses du Dauphiné, de la défection de la garnison de Lyon, de l’élan des provinces voisines et des populations environnantes ; Ney, l’enfant