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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/263

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n’est point de circonstances, de plus petits détails relatifs à elle, qu’il ne m’ait répétés cent fois. Pénélope, après dix ans d’absence, croit ne pouvoir s’assurer de la vérité qu’en faisant à Ulysse des questions auxquelles lui seul pouvait répondre ; eh bien ! je crois que je ne serais pas embarrassé de présenter mes lettres de créance à Marie-Louise.

Dans la conversation du soir, l’Empereur, parlant des nations, disait qu’il ne connaissait que deux peuples : les Orientaux et les Occidentaux.

« Les Anglais, les Français, les Italiens, etc., disait-il, ne composaient qu’une même famille, les Occidentaux ; ils avaient mêmes lois, mêmes mœurs, mêmes usages, ils différaient entièrement des Orientaux, surtout dans les deux grands rapports de leurs femmes, de leurs domestiques. Les Orientaux ont des esclaves, nos domestiques sont de condition libre ; les Orientaux enferment leurs femmes, les nôtres partagent tous nos droits ; ils ont un sérail, et jamais, dans aucun temps, la polygamie n’a été admise dans l’Occident. Il existe encore une foule d’autres oppositions, observait l’Empereur, on dit en avoir compté jusqu’à quatre-vingts ; ce sont donc réellement, disait-il, des peuples différents.

« Tout est calculé, continuait-il, chez les Orientaux, pour qu’ils puissent garder leurs femmes et s’assurer d’elles. Toute notre vie, au contraire, dans l’Occident, est calculée pour que nous ne puissions les garder, et que nous soyons obligés de nous en rapporter à elles-mêmes. Tout homme chez nous, sous peine d’idiotisme, doit avoir une occupation ; or, quand il vaquera à ses affaires ou remplira ses fonctions, qui surveillera pour lui ? Il faut donc chez nous tout à fait compter sur l’honneur des femmes, et y avoir aveugle confiance ? Pour moi, disait-il gaiement, j’ai eu femmes et maîtresses, et jamais il ne m’est venu l’idée d’une surveillance particulière, parce que je pensais qu’il devait en être pour cela comme des poignards et du poison dans certaine situation ; le tourment des précautions l’emporte encore sur le danger que l’on veut éviter ; il vaut mieux s’abandonner à sa destinée.

« Prononcer, du reste, quelle est la meilleure méthode de la nôtre ou de celle des Orientaux est une fort grande question, pas pour vous sans doute, Mesdames, disait-il en lançant un regard malin sur ces dames ; mais ce qu’il y a de bien certain, c’est qu’on se tromperait fort si on supposait moins de jouissances aux Orientaux, si on les croyait moins heureux que nous dans notre Occident. Chez eux les