Aller au contenu

Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/264

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maris y aiment beaucoup leurs femmes, les femmes y aiment beaucoup leurs maris. Ils ont tout autant de chances de bonheur que nous, quelques différences d’ailleurs qui semblent se présenter, car tout est convention parmi les hommes, jusqu’à des sentiments qui sembleraient ne devoir venir que de la nature ; et puis encore ces femmes ont leurs droits chez elles comme les nôtres chez nous. On ne pourrait pas les empêcher d’aller au bain public, pas plus qu’on empêcherait chez nous les femmes d’aller à l’église ; et les unes en abusent comme les autres. Vous voyez que l’espèce humaine, son imagination, ses sentiments, ses vertus, ses fautes parcourent un cercle assez étroit. Tout cela se retrouve, à bien peu de chose près, de même partout. »

Et il prétendait expliquer ou justifier la polygamie chez les Orientaux d’une manière fort ingénieuse. « Elle n’avait jamais existé, disait-il, dans l’Occident : les Grecs, les Romains, les Gaulois, les Germains, les Espagnols, les Bretons, n’avaient jamais eu qu’une femme. En Orient, au contraire, la polygamie avait toujours existé : les Juifs, les Assyriens, les Tartares, les Persans, les Turcomans, avaient tous eu plusieurs femmes. D’où pouvait venir cette universelle et constante différence ? N’aurait-elle donc tenu qu’au hasard et à la seule bizarrerie ? Dépendait-elle de causes physiques dans les individus ? Non. Les femmes, proportion gardée, étaient-elles moins nombreuses chez nous qu’en Asie ? Non. Étaient-elles en Orient en plus grand nombre que les hommes ? Non. Ceux-ci étaient-ils plus gigantesques que nous, autrement constitués ? Non. C’est que tout bonnement le législateur, ou la sagesse d’en haut qui en tient lieu, aura été guidé par la force des choses dérivant des localités respectives. Tous les Occidentaux ont même forme, même couleur, ils ne composent qu’un même peuple, une seule famille ; il a été possible, comme à l’instant de la création, de ne leur assigner qu’une compagne. Loi heureuse, admirable, bienfaisante, qui épure le cœur de l’homme, relève la condition de la femme, et ménage à tous deux un torrent de jouissances morales.

Les Orientaux, au contraire, diffèrent entre eux autant que le jour, et la nuit, dans leurs formes et dans leurs couleurs ; ils sont blancs, noirs, cuivrés, mélangés, etc. Il a fallu avant tout songer à leur conservation, à établir entre eux une fraternité consanguine, sous peine de les voir s’exterminer ou se persécuter, s’opprimer éternellement, ce qu’on n’a pu obtenir qu’en établissant la polygamie, et en donnant la possibilité d’avoir à la fois une femme blanche, une femme noire, une mulâtre, une cuivrée. Dès lors les différentes couleurs, faisant