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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/284

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l’histoire ; mais aujourd’hui de nouvelles et basses calomnies tiennent à la dernière lâcheté et ne rempliront pas leur but. Des millions de libelles ont paru et paraissent tous les jours ; ils sont sans effet : soixante millions d’hommes des contrées les plus policées de l’univers élèvent leurs voix pour les confondre, et cinquante mille Anglais, qui voyagent maintenant sur le continent, apporteront chez eux la vérité aux peuples des trois royaumes, qui rougiront d’avoir été si grossièrement trompés.

« Quant au bill qui a traîné Napoléon sur un roc, c’est un acte de proscription semblable à ceux de Sylla, et pis encore. Les Romains poursuivirent Annibal jusqu’au fond de la Bithynie ; Flaminius obtint du roi Prusias la mort de ce grand homme, et pourtant à Rome Flaminius fut accusé d’avoir agi ainsi pour satisfaire sa haine personnelle. En vain allégua-t-il qu’Annibal, encore dans la vigueur de l’âge, pouvait être dangereux, que sa mort était nécessaire ; mille voix répondirent que ce qui est injuste et ingénéreux ne peut jamais être avantageux à une grande nation ; que de tels prétextes justifieraient les assassinats, les empoisonnements et toute espèce de crime !… Les générations qui suivirent reprochèrent cette lâcheté à leurs ancêtres. Elles auraient payé bien cher pour effacer une telle tache de leur histoire. Depuis le renouvellement des lettres parmi les nations modernes, il n’est point de générations qui n’ait uni ses imprécations à celles que proféra Annibal au moment de boire la ciguë : il maudissait cette Rome qui, à une époque où ses flottes et ses légions couvraient l’Europe, l’Asie et l’Afrique, assouvissait sa colère sur un homme seul et désarmé, parce qu’elle le craignait ou qu’elle prétendait le craindre.

« Mais les Romains ne violèrent jamais l’hospitalité. Sylla trouva un asile dans la maison de Marius ; Flaminius, avant de proscrire Annibal, ne le reçut pas à bord de son vaisseau, et ne lui déclara point qu’il avait des ordres de le bien recevoir. La flotte romaine ne le transporta pas au port d’Ostie ; bien loin d’avoir recours à la protection des lois romaines, Annibal préféra confier sa personne à un roi d’Asie. Lorsqu’il fut proscrit, il n’était pas sous la protection de l’étendard romain ; il était sous les drapeaux d’un roi ennemi de Rome.

« Si jamais, dans les révolutions des siècles, un roi d’Angleterre vient à comparaître devant le redoutable tribunal de sa nation, ses défenseurs insisteront sur l’auguste caractère de roi, le respect dû au trône, à toute tête couronnée, à l’oint du Seigneur ! Mais ses adversaires ne seront-ils pas en droit de répondre : Un de ses ancêtres proscrivit son