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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/285

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hôte en temps de paix ; n’osant pas le mettre à mort en présence d’un peuple qui avait ses lois positives et ses formes régulières et publiques, il fit exposer sa victime sur le point le plus insalubre d’un roc situé au milieu de l’Océan dans un autre hémisphère. Cet hôte y périt après une longue agonie, tourmenté par le climat les besoins et les injures de toute espèce ! Eh bien ! cet hôte était aussi un grand souverain, élevé sur le bouclier de trente six millions de citoyens. Il fut maître de presque toutes les capitales de l’Europe ; il vit à sa cour les plus grands rois ; il fut généreux envers eux tous ; il fut pendant vingt ans l’arbitre des nations ; sa famille était alliée à toutes les familles souveraines, même à celle de l’Angleterre ; il fut deux fois l’oint du Seigneur, il fut deux fois consacré par la religion !!! »

Ce dernier morceau est certainement très beau de vérité, de diction, et surtout de richesses historiques.

N. B. Ici je ne puis m’empêcher de m’arrêter un instant. Flaminius, est-il dit plus haut, avant de proscrire Annibal, ne le reçut pas à bord de son vaisseau, et ne lui déclara point qu’il avait des ordres de le bien recevoir. Ce point était celui qui révoltait le plus l’Empereur et nous tous, parce que là étaient notre droit et la violation à notre égard de toute justice, l’outrage à notre bonne foi, et l’effronterie immorale de l’administration anglaise. Napoléon, ainsi qu’on a pu le voir dans le cours de mes récits, y revenait avec indignation toutes les fois que l’occasion s’en présentait, tandis que les ministres anglais, de leur côté, n’ont cessé d’avoir recours même à des moyens indirects pour essayer de répandre la dénégation, ou du moins le doute. Aussi sir Walter Scott, dans son histoire, écrite d’ailleurs toute dans leurs intérêts, semble avoir fait de cette circonstance le point capital de son livre. Il accorde que l’honneur du gouvernement anglais se trouve entièrement lié aux transactions qui conduisirent Napoléon à bord du Bellérophon ; et, ce point établi, il s’évertue laborieusement pour arriver à le justifier. Il y revient spécialement à satiété dans trois endroits, comme si, à défaut de conviction chez le lecteur, il espérait l’entraîner à force de fatigue, et conclut, comme de raison, que Napoléon n’a été que le prisonnier de guerre de l’Angleterre tombé à la discrétion de son gouvernement ; qu’il a été traité avec beaucoup d’indulgence, et que ses plaintes et celles des siens sont injustes, etc., etc.

Mais voici quelques observations qui seront décisives : que celui qui cherche la vérité de bonne foi, et qui trouve quelque intérêt à fixer son attention sur un point historique si important, s’il veut se délivrer de