Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/293

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absurde. Toutefois, ajoutait-il, j’aurais voulu partir d’un point arrêté, suivre une route unique connue de tous, n’avoir d’autres lois que celles inscrites dans le seul Code, et proclamer, une fois pour toutes, nul et non avenu tout ce qui ne s’y trouverait pas compris. Mais, avec les praticiens, il n’est pas facile d’obtenir de la simplicité ; ils vous prouvent d’abord qu’elle est impossible, que c’est une véritable chimère ; puis ils essaient de démontrer qu’elle est même incompatible avec la sûreté, l’existence du pouvoir. Celui-ci demeure seul et constamment exposé, disait-il, aux machinations improvisées de tous ; il lui faut donc au besoin des armes en réserve pour les cas imprévus. Si bien, observait Napoléon, qu’avec quelques vieux édits de Chilpéric ou de Pharamond, déterrés au besoin, il n’est personne qui puisse se dire à l’abri d’être dûment et légalement pendu.

« Au Conseil d’État, disait l’Empereur, j’étais très fort tant qu’on demeurait dans le domaine du Code ; mais dès qu’on passait aux régions extérieures, je tombais dans les ténèbres, et Merlin alors était ma ressource ; je m’en servais comme d’un flambeau. Sans être brillant, il est fort érudit, puis sage, droit et honnête, un des vétérans de la vieille et bonne cause ; il m’était fort attaché.

« À peine le Code eut paru, qu’il fut suivi presque aussitôt, et comme en supplément, de commentaires, d’explications, de développement, d’interprétations, que sais-je ? et j’avais coutume de m’écrier : Eh ! Messieurs, nous avons nettoyé l’écurie d’Augias, pour Dieu, ne l’encombrons pas de nouveau ! etc. »

À dîner, l’Empereur a dit des choses fort curieuses sur l’Égypte touchant un des chapitres qu’il avait dictés sur la religion, les usages, etc. Il faisait observer, comme bien digne de remarque, que du même coin de terre étaient sortis les trois cultes qui avaient déraciné le polythéisme et couvert tout le globe de la connaissance d’un seul Dieu, le judaïsme, le christianisme et le mahométisme.

Alors, analysant de la manière la plus ingénieuse les deux religions de l’Orient et de l’Occident, il disait que la nôtre était toute spirituelle, et celle de Mahomet toute sensuelle ; que les châtiments dominaient chez nous : c’était l’enfer et les supplices éternels, tandis que ce n’était que récompensé chez les musulmans : les houris aux yeux bleus, les bocages riants, les fleuves de lait. Et de là il concluait, en opposant les deux religions, que l’on pourrait dire que l’une était une menace, elle se présentait comme la religion de la crainte ; que l’autre, au contraire, était une promesse, et devenait la religion des attraits, etc. On trouvera, du