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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/292

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il pourrait voir le général ; ce qui pourrait être long, l’Empereur, auprès duquel j’étais en cet instant, m’ayant dit qu’il était déterminé à ne jamais plus le recevoir.

Après dîner, l’Empereur s’est fait apporter Valmont de Bomare et Buffon. Il a cherché ce que ces auteurs disaient sur les différentes espèces humaines, sur la différence du nègre et du blanc ; il en a été très peu satisfait. Il nous a quittés de bonne heure ; il souffrait.

Mercredi 2.

L’Empereur m’avait dit qu’il voulait absolument se remettre à l’anglais, qu’il fallait que je le forçasse chaque matin à prendre sa leçon. Fidèle à cet ordre, je me suis rendu chez lui vers midi et demi. J’ai été malheureux dans le choix du moment ; l’Empereur, étendu sur son canapé, sommeillait après son déjeuner. J’ai dû le contrarier, et je l’étais fort pour mon compte. Toutefois il n’a pas voulu me laisser ressortir, et a lu de l’anglais pendant près d’une demi-heure. Il n’était pas très bien. Il a fait sa toilette. Comme je lui ai dit que notre travail était prêt, il s’est proposé d’abord de s’occuper des chapitres de la campagne d’Italie ; mais il a changé de pensée, et a travaillé toute la journée à d’autres objets…

Le soir, l’Empereur, fatigué, souffrant, s’est retiré de bonne heure.


Jurisprudence sur nos Codes au Conseil d’État ; Merlin, etc. – Monuments d’Égypte – Projet d’un temple égyptien à Paris.


Jeudi 3.

L’Empereur, après son déjeuner, a fait quelques tours de jardin. Nous étions tous autour de lui ; il a causé des communications que le gouverneur avait à nous faire, et a passé en revue les diverses conjectures que chacun de nous formait à cet égard, les unes bonnes, les autres mauvaises. Il s’est mis au travail, et a dicté à mon fils jusqu’à cinq heures ; puis il s’est mis à feuilleter un ouvrage anglais, et s’est arrêté sur la jurisprudence, les procédures civiles et criminelles des deux pays de France et d’Angleterre, cherchant à les comparer. On sait combien il est fort sur nos Codes ; mais il connaît peu ceux d’Angleterre ; et à l’exception de quelques points généraux, je n’ai pu répondre à ses questions. Dans le cours du sujet, il a dit : « Les lois, qui sont en théorie le type de la clarté, ne deviennent que trop souvent un vrai chaos dans l’application. C’est que les hommes et leurs passions détériorent tout ce qu’ils manient, etc… On ne peut échapper à l’arbitraire du juge qu’en se plaçant sous le despotisme de la loi, etc… J’avais d’abord rêvé qu’il serait possible de réduire les lois à de simples démonstrations de géométrie, si bien que quiconque aurait su lire et eût pu lier deux idées eût été capable de prononcer ; mais je me suis convaincu presque aussitôt que c’était une idéalité