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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/298

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et a terminé disant : « C’est bien, très bien ; voilà un bel héritage pour le petit Emmanuel. » Quant au Journal, il en a approuvé la forme et l’ensemble ; il a fait quelques corrections de sa propre main sur ce qui concernait sa famille et son enfance, et faisant prendre la plume à mon fils, il s’est mis à dicter des détails sur Brienne, le père Patrault, etc.

En finissant, il m’a dit vouloir reprendre ce travail désormais ; qu’il lui plaisait, et qu’il me promettait, puisque je semblais les aimer, bon nombre d’anecdotes, surtout sur Alexandre et les autres souverains, etc., etc.

Puis il a gagné la calèche, où je suis monté seul avec lui, et le Journal a fait la conversation de toute la promenade. L’Empereur s’est fort étendu sur ce sujet, l’idée lui en plaisait beaucoup ; il m’a dit plusieurs choses à cet égard, concluant que ce pourrait devenir, par les circonstances particulières, un ouvrage unique, un trésor sans prix pour son fils, etc., etc.

Au retour de la promenade, nous avons trouvé le grand maréchal : il arrivait de Plantation-House, où il avait été au sujet des communications d’hier. Nous avions attendu avec inquiétude ce qu’il pourrait rapporter. Il nous a appris qu’il ne s’était agi de rien moins que de voir quatre de nous séparés de l’Empereur. Il était encore un grand nombre d’autres points fort mauvais ; mais celui-là les absorbait tous dans notre esprit : enfin le gouverneur avait conclu à n’éloigner que le Polonais et trois domestiques. Toutefois j’étais celui, à ce que rapportait le grand maréchal, sur lequel l’orage avait grondé ; j’étais celui dont le gouverneur s’était plaint davantage, celui qu’il eût indiqué s’il ne m’eût cru trop utile à l’Empereur, avait-il dit. Il se plaignait de ce que j’écrivais sans cesse en Europe, déclamant toujours, disait-il, contre le gouvernement, son injustice, les oppressions qu’on exerçait sur nous ici, etc… Il se plaignait de ce que j’entretenais les étrangers qui venaient à Longwood de l’Empereur, de manière à les y intéresser ; de ce que je cherchais partout à lier des communications au dehors, et il a rappelé madame Sturmer ; de ce que j’avais adresse en Europe ou essayé d’y faire parvenir diverses pièces, etc., etc. Toutefois, après s’être montré si fort animé contre moi, et quel qu’ait été son motif, il a complètement adouci la chose par des observations emmiellées tout à fait obligeantes, disant qu’il n’avait pas dû avoir lieu d’attendre tout cela d’une personne de tant d’instruction et d’une si belle réputation, connue aujourd’hui, pouvait-il dire, de toute l’Europe, etc.

Après dîner, l’Empereur s’est amusé à résoudre des problèmes de géométrie et d’algèbre : cela lui rappelait son jeune temps, disait-il, et il nous étonnait fort de l’avoir si peu oublié.