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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/303

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jour mes Mémoires et peut-être aussi votre Journal. Mais encore, pour surmonter le pli, les impulsions de l’enfance, pour vaincre les vices de l’entourage, faut-il déjà une certaine capacité, une certaine force de tête, un jugement tranchant, décisif, et tout cela est-il donc si commun !…» Et il avait l’air profondément affecté. « Mais parlons plutôt d’autre chose, » a-t-il prononcé fortement. Et il n’a parlé de rien.

Nous nous sommes mis au travail. Après quelques heures, le grand maréchal m’a remplacé.

En sortant à son tour de chez l’Empereur, il m’a dit que j’étais demandé de nouveau pour traduire un gros paquet du gouverneur. Mes yeux, qui se perdent tout à fait, m’ont forcé d’aller employer ceux de M. de Montholon.

En voici le contenu : 1° Une partie des nouvelles restrictions qu’on nous impose, dans lesquelles l’Empereur est traité d’une manière qu’on pourrait appeler curieuse dans l’excès de l’indécence et de l’outrage, allant jusqu’à lui prescrire la nature et l’étendue des paroles qu’on lui permet. Le croira-t-on jamais !… les pièces feront foi. (Voyez quelques lignes plus loin à la fin du jour.)

2° La forme de la déclaration qu’on présente à notre signature. Le tout respire, du reste, les vexations les plus arbitraires et les plus inutiles, assaisonnées de tout ce que peut dicter la vengeance armée du pouvoir.

3° Enfin une lettre du gouverneur au grand maréchal, calquée sur la note présentée par le colonel Reade, dont je fis lecture à l’Empereur, et que le colonel ne voulut pas laisser ; j’en ai fait mention plus haut. Toutefois certains points très essentiels étaient ici très habilement supprimés ou modifiés ; l’Empereur a souvent remarqué que c’était là un des talents spéciaux du gouverneur. Je vais consigner ici ce qui m’en était resté. Bien que le résultat d’une simple lecture, et traduite à mesure à l’Empereur, j’oserais néanmoins en garantir l’exactitude.

« Les Français qui désireraient demeurer auprès du général Bonaparte étaient astreints à signer la formule littérale qui leur serait présentée, et par laquelle ils se soumettaient à toutes les restrictions que l’on imposait au général. Cette obligation devait être regardée comme perpétuelle. Ceux qui s’y refuseraient seraient envoyés au cap de Bonne-Espérance ; la suite du général devait être réduite de quatre personnes. Ceux qui demeureraient seraient, comme s’ils étaient nés Anglais, assujettis aux lois faites pour garantir la réclusion du général Bonaparte, c’est-à-dire la peine de mort en cas qu’on se prêtât à son évasion. Chacun des Français qui se permettrait des injures, des réflexions, ou une