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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/336

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roi et les inconsidérations de tout ce qui l’entourait rendaient connues de tout le monde.

« Dans l’affreuse nuit du 5 au 6 octobre, à Versailles, disait l’Empereur, une personne très distinguée dans les affections de la reine, et que j’ai fort maltraitée plus tard à Rastadt, accourut auprès de cette princesse, pour partager ses périls. Et c’est dans d’aussi cruels moments, du reste, observait l’Empereur, que les conseils et les consolations sont nécessaires de la part de ceux qui nous sont dévoués. Lorsque la catastrophe arriva, que le palais fut forcé, la reine se sauva dans les appartements du roi ; mais son confident courut les plus grands dangers, et n’échappa qu’en sautant par une fenêtre. »

Je disais à l’Empereur que la reine avait beaucoup perdu dans l’esprit de l’émigration par les malheurs de Varennes. On lui reprochait de n’avoir pas voulu laisser le roi partir seul, et, une fois du voyage, de n’avoir pas su le diriger avec habileté ni énergie. On ne saurait se figurer en effet le décousu et les fautes de ce voyage. Un de ses détails, qui ne semblera pas le moins bizarre ni le moins grotesque, c’est que Léonard, le fameux coiffeur de la reine, qui en faisait partie, trouva moyen de passer dans son cabriolet au milieu de la bagarre, et qu’il nous arriva à Coblentz avec le bâton de maréchal, que le roi avait emporté des Tuileries pour le remettre, disait-on, à M. de Bouillé, au moment de leur rencontre.

« Du reste, terminait l’Empereur, c’était une maxime établie dans la maison d’Autriche que de garder un silence profond sur la reine de France. Au nom de Marie-Antoinette, ils baissent les yeux et changent significativement la conversation, comme pour échapper à un sujet désagréable et embarrassant. C’est, continuait l’Empereur, une règle adoptée par toute la famille, et recommandée à ses agents du dehors. Ainsi nul doute que les soins des princes français pour la remettre dernièrement en scène à Paris ne déplaisent beaucoup à Vienne. »

L’Empereur passait ensuite à la princesse de Lamballe, dont il n’avait aucune idée. Je pouvais aisément le satisfaire, je l’avais beaucoup connue. Une parente de mon nom étant sa dame d’honneur lorsque j’arrivai à Aix-la-Chapelle, au commencement de mon émigration, je fus reçu auprès d’elle comme de sa maison, et traité avec une grande bonté.

La princesse de Lamballe, disais-je, réunissait auprès d’elle, dans cette ville, beaucoup de débris de Versailles, de vieux courtisans et d’anciennes personnes à la mode. Il y venait aussi beaucoup d’illustres étrangers. J’y vis souvent le roi de Suède, Gustave III, sous le nom de comte de Haga ; le prince Ferdinand de Prusse, avec ses enfants, dont