Aller au contenu

Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/343

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reçut le soir même, de la part de Napoléon, son portrait enrichi de diamants, 6.000 fr. en or et une pension sur l’État, de 3.000 fr., sans exclusion, est-il dit au décret, de toute autre récompense méritée par ses grades, son ancienneté et ses services futurs.

Un pareil trait est précieux pour l’histoire, en ce qu’il fait connaître un homme de bien qui n’hésite pas à défendre la vérité contre un monarque prévenu, irrité ; et en ce qu’il fait ressortir toute la grande âme de celui-ci, dans le bonheur, la reconnaissance qu’il témoigne de se voir détrompé.


L’Empereur accepte mes quatre mille louis.


Jeudi 24.

L’Empereur n’est pas sorti ; il n’a demandé aucun de nous ; il n’est pas venu dîner, ce qui nous a fait craindre qu’il fût malade. Après dix heures, comme je n’étais point encore couché, il m’a fait appeler. Il venait de se mettre au lit. Il m’a dit n’avoir pas quitté son canapé de la journée ; il avait lu près de dix-huit heures. Il n’avait mangé qu’un peu de soupe ; il ne souffrait que de ses dents. Je lui disais que nous avions craint que ce ne fût sérieux encore, qu’au chagrin de ne pas le voir se mêlait toujours l’inquiétude.

Plus tard il a traité notre situation pécuniaire. Il avait tenu son conseil le matin, disait-il plaisamment ; on avait pesé l’argenterie, calculé ce qu’on devait en vendre. Cela devait nous faire aller encore quelque temps. Je lui ai renouvelé l’offre de mes 4.000 louis de Londres. Il a daigné enfin les accepter. « Ma situation est singulière, disait-il ; je n’ai nul doute que, si la communication était permise, et que chacun des miens, ou même bien des étrangers, pussent soupçonner que j’eusse des besoins, je serais bientôt riche ici en toutes choses ; mais dois-je être à charge à mes amis, en les exposant aux abus qu’en pourrait faire le ministère anglais ? J’ai demandé quelques livres, il me les a fait parvenir avec toute l’incurie et la négligence d’un commissionnaire infidèle. Il me réclame aujourd’hui 1.500 ou 2.000 liv. sterl., c’est-à-dire près de 50.000 fr. pour des drogueries que j’eusse pu me procurer moi-même à moins de 12.000 sans doute. N’en serait-il pas de même de toute autre chose ? En acceptant ce que vous m’offrez, cette ressource ne doit être employée qu’au strict nécessaire ; car, après tout, il faut vivre, et réellement nous ne vivons pas avec ce qu’on nous fournit. Cent louis par mois seraient le léger supplément qui pourrait rigoureusement y satisfaire. C’est là la somme et la régularité surtout que vous devez demander et suivre. »