Aller au contenu

Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/367

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gères considérations, j’aurais privé les contemporains avides ! Non. Et aussi bien le public se montrait-il vivement impatient ; il attendait et demandait des compagnons de Napoléon qu’ils lui fissent connaître ce qu’ils avaient recueilli de ses paroles ou lu dans sa pensée : or la tenue de mon Journal me rendait le mieux situé ; je me suis trouvé le plus tôt prêt, et je me suis hâté, à la voix de tous, d’accomplir ce devoir. Du reste, quoi qu’il pût m’arriver désormais, j’en tiens déjà la plus douce récompense dans les témoignages, les vœux, la sympathie qui me sont déjà parvenus, dans l’espèce de reconnaissance même dont des cœurs généreux et vraiment hauts sont venus m’entretenir avec transport.


Affaissement de l’Empereur – Sa santé continue de s’altérer sensiblement – Inquiétudes du médecin – Nos prisonniers en Angleterre ; les pontons, etc.


Vendredi 1er novembre.

Aujourd’hui le temps était très beau, l’Empereur a voulu en profiter ; il a essayé de sortir sur les deux heures. Après quelques pas dans le jardin, il a eu l’idée d’aller se reposer chez madame Bertrand ; il y est demeuré plus d’une heure dans un fauteuil, ne parlant point, souffrant et abattu. Au bout de ce temps, il a regagné languissamment sa chambre, où il s’est jeté sur son canapé, sommeillant comme la veille. Cet affaissement m’affectait douloureusement. Il essayait de temps à autre de combattre cette disposition ; mais il ne trouvait rien à dire, et, s’il voulait se mettre à lire, la lecture le dégoûtait tout aussitôt. Je l’ai quitté pour le laisser reposer.

Le docteur O’Méara est venu voir mon fils, dont l’état ne laissait pas que d’être inquiétant. Il avait été saigné hier de nouveau ; il avait eu des évanouissements trois ou quatre fois dans la journée.

Le docteur a profité de cette occasion pour me parler spécialement de la santé de l’Empereur, me confiant qu’il n’était pas sans inquiétude sur sa trop grande réclusion. Il ne cessait de prêcher, disait-il, pour plus d’exercice, et m’engageait à profiter des fréquentes occasions que j’avais de parler à l’Empereur pour l’amener à sortir davantage. Il est sûr, convenions-nous, qu’il changeait de manière à effrayer ; et lui (le docteur) n’hésitait pas à prononcer qu’un si complet repos, après une si grande agitation, pouvait devenir des plus funestes ; que toute maladie sérieuse, que pouvait amener si facilement la qualité du climat ou tout autre accident de la nature, lui deviendrait infailliblement mortelle. Les paroles du docteur, son anxiété, m’ont vivement touché. Dès ce temps, j’aurais dû deviner en lui cet intérêt réel qu’il a si bien prouvé depuis.

Sur les six heures, l’Empereur m’a fait appeler. Il était dans son bain, souffrant peut-être encore plus que de coutume. C’était, pensait-il,