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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/368

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le résultat de sa sortie d’hier ; le bain lui a réussi. Il se trouvait un peu mieux. Il s’est mis à lire l’ambassade de lord Macartney en Chine ; ce qu’il a prolongé assez longtemps, dissertant, chemin faisant, sur bien des objets qu’il y rencontrait.

La rupture subite du traité d’Amiens, sous de si mauvais prétextes et avec autant de mauvaise foi de la part du ministère anglais, avait causé une vive irritation chez le Premier Consul, qui se sentait joué. La saisie de plusieurs bâtiments de notre commerce, avant même de nous déclarer la guerre, vint y mettre le comble. « Sur mes vives réclamations, disait l’Empereur, ils se contentèrent de répondre froidement que c’était leur usage, qu’ils l’avaient toujours fait, et ils disaient vrai ; mais les temps n’étaient plus pour la France de supporter patiemment une telle injustice ni une telle humiliation. J’étais devenu l’homme de ses droits et de sa gloire, et j’étais tout disposé à montrer à nos ennemis avec qui désormais ils avaient affaire. Malheureusement ici, par notre position réciproque, je ne pouvais venger une violence que par une violence plus forte encore. C’est une triste ressource que les représailles sur des innocents au fond ; mais je n’avais pas de choix.

À la lecture de l’ironique et insolente réponse faite à mes plaintes, j’expédiai, au milieu de la nuit même, l’ordre d’arrêter, par toute la France et sur tous les territoires occupés par nos armes, tous les Anglais quelconques, et de les retenir prisonniers en représailles de nos vaisseaux si injustement saisis. La plupart de ces Anglais étaient des hommes considérables, riches et titrés, venus pour leur plaisir. Plus l’acte était nouveau, plus l’injustice était flagrante, plus la chose me convenait. La clameur fut universelle. Tous ces Anglais s’adressèrent à moi ; je les renvoyais à leur gouvernement : leur sort dépendait de lui seul, répondais-je. Plusieurs, pour obtenir de s’en aller, furent jusqu’à proposer de se cotiser pour acquitter eux-mêmes le montant des vaisseaux arrêtés. Ce n’était pas de l’argent que je cherchais, leur faisais-je dire, mais l’observation de la simple morale, le redressement d’un tort odieux ; et, le croira-t-on ? l’administration anglaise, aussi astucieuse, aussi tenace dans ses droits maritimes que la cour de Rome dans ses prétentions religieuses, a mieux aimé laisser injustement dix ans dans les fers une masse très distinguée de ses compatriotes, que de renoncer authentiquement pour l’avenir à un misérable usage de rapines sur les mers.

« Déjà, en arrivant à la tête du gouvernement consulaire, j’avais eu une prise avec le cabinet anglais touchant les prisonniers, et cette fois