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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/380

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longueur du temps qu’ils eussent exigée, aussi bien que par l’énormité de leurs dépenses.

Les grands et immenses travaux d’Anvers. – Cette ville, à près de vingt lieues de la mer, dont elle est séparée par une route sinueuse et très difficile, semblait se refuser aux avantages désirables dans un arsenal maritime ; il ne s’y trouvait que de faibles établissements de commerce. Une flotte qui y serait construite aurait beaucoup de peine à descendre ; elle aurait peu d’abris contre les coups de vent et les entreprises de l’ennemi ; elle serait inutile pendant près d’un tiers de l’année, l’approche de l’hiver et des glaces la forçant de remonter et de chercher ensuite un abri hors du courant et des glaces du fleuve, car il n’y existait pas de bassins flottables. Mais toutes ces difficultés ne furent rien aux yeux de Napoléon. Dans son impatience de faire sentir aux Anglais le danger de l’Escaut, qu’ils avaient si souvent eux-mêmes désigné comme devant leur être si redoutable, il ordonna, il voulut ; et en moins de huit années, Anvers se montra un arsenal maritime de première importance, et l’Escaut portait déjà une flotte considérable. Tout y fut pris à la fondation et fait à neuf, les magasins de toute espèce, les quais, les chantiers, etc. Un asile provisoire fut trouvé pour les vaisseaux contre les glaces du fleuve, au Ruppel, tandis qu’on achevait de creuser dans la ville même deux grands bassins à flot, convenables pour les vaisseaux de tous rangs, complètement armés. Vingt cales de construction, sur un même alignement, furent élevées comme par enchantement, et vingt bâtiments posés à la fois sur ces chantiers offraient au voyageur qui arrivait par la Tête-de-Flandre le spectacle imposant et singulier de vingt vaisseaux de ligne se présentant rangés en forme d’escadron. La plupart de tant de choses n’étaient pourtant encore dans la pensée de Napoléon qu’un provisoire momentanément emprunté au commerce. Il avait l’intention d’établir un arsenal complet et bien plus grand en face d’Anvers, à la Tête-de-Flandre, sur la rive opposée. Il avait d’abord eu le projet hardi de jeter un pont au travers de ce fleuve difficile ; mais il finit par se décider pour des ponts volants très ingénieux. L’empereur, ainsi que je l’ai déjà mentionné plus haut, avait sur Anvers les idées les plus gigantesques ; il en eût prolongé l’ensemble, les détails et les moyens jusqu’à la mer. Aussi avait-il dit qu’il voulait qu’Anvers à lui seul finît par devenir toute une province, un petit royaume. Il s’y était attaché comme à une de ses plus importantes créations. Il y fit plusieurs voyages, inspectant et discutant lui-même les petits détails.

C’est une de ces occasions qui le mit un jour aux prises sur le métier