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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/399

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le souverain combine, ordonne, exécute avec la cupidité du marchand ; c’est dans cette circonstance toute particulière, dans ce double caractère ainsi que dans la nature et le nombre des employés, la distance du théâtre sur lequel on opère, qu’il faut chercher la clef des progrès, des mesures, des tiraillements, des contradictions, des désordres et des clameurs qui composent l’histoire de cette célèbre compagnie.

La compagnie des Indes anglaises a été longtemps tout à fait maîtresse et indépendante ; elle était et continue d’être représentée par une cour de directeurs choisis par la masse des propriétaires ; ces directeurs délèguent et dirigent dans l’Inde, par leurs dépêches, une régence ou conseil composé d’un gouverneur et de quelques assesseurs qui y représentent et y exercent l’autorité souveraine.

En 1767, pour la première fois, la couronne mit en avant des droits sur son territoire et ses revenus ; mais la compagnie acheta le désistement pour un subside de 10 ou 12 millions de francs.

Vers 1773, la compagnie des Indes, se trouvant extrêmement dérangée dans ses affaires, eut recours au parlement, qui profita de ses embarras pour consacrer sa dépendance. Il traça des règlements politiques, judiciaires et financiers auxquels il soumit toutes les possessions de cette compagnie ; mais ces règlements ne furent point heureux : ils portèrent le désordre au comble dans la péninsule de l’Inde, en y introduisant surtout une cour suprême de justice qui se montra la rivale du conseil souverain, et qui, chargée d’introduire les lois anglaises dans le pays, porta le bouleversement et l’effroi parmi les naturels. La fureur des partis, leurs dénonciations réciproques, leurs plaintes, leurs déclamations nous ont transmis des actes odieux, une rapacité sans frein, une tyrannie atroce. Cette époque est la plus orageuse et la moins honorable de l’histoire de la compagnie.

En 1783, pour y porter un remède radical, M. Fox, alors ministre, proposa son fameux bill dont le non-succès le fit sortir du ministère. L’année suivante, M. Pitt, qui avait été son antagoniste, en présenta un autre qui commença sa grande réputation, et qui gouverne encore aujourd’hui la compagnie. Le bill de M. Fox était une véritable saisie judiciaire ; il retirait à la compagnie toutes ses propriétés et les plaçait en régie entre les mains d’un comité chargé de gérer pour elle, de liquider ses dettes et de disposer de tous les emplois. Les membres du comité, nommés par le roi ou le parlement, devaient être inamovibles, et siéger jusqu’à ce qu’ils eussent mis les affaires sur un meilleur pied. On cria de toute part sur un ordre de chose qui, disait-on,