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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/400

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allait mettre entre les mains de quelques-uns de si grands intérêts, un si grand patronage, une si énorme influence. C’était, disait-on, introduire un quatrième pouvoir dans l’État, créer un rival à la couronne même. On fut jusqu’à accuser M. Fox de vouloir se perpétuer dans le ministère, et se ménager une espèce de souveraineté occulte supérieure à celle du roi ; car, comme il était ministre et gouvernait en ce moment le parlement, il eût nommé et gouverné ce comité. À l’aide de l’influence de ce comité, il eût composé et gouverné le parlement, et à l’aide du parlement, il eût consacré et perpétué le comité : il n’y avait plus de fin. La clameur fut extrême, et le roi en fit une affaire personnelle. Il en appela à ses propres amis, à ceux qui, dans la chambre des pairs, lui étaient attachés de cœur, comme d’un objet attaquant son existence même. M. Fox échoua, et fut contraint de quitter le ministère.

M. Pitt montra plus de modération en apparence et fut plus adroit : il se contenta, par son bill, de mettre la compagnie en tutelle : il soumit toutes ses opérations à un comité chargé de les réviser et de les contresigner : il laissa à la compagnie la nomination de tous les employés ; mais réserva à la couronne la nomination du gouverneur général et le veto sur toutes les autres nominations. Ce comité, nommé par le roi, formait une branche nouvelle dans le ministère. On se récria vivement encore sur l’immense influence que cette mesure allait ajouter à l’autorité royale, et qui devait infailliblement briser, disait-on, l’équilibre constitutionnel. On avait reproché à M. Fox d’avoir voulu tenir cette influence tout à fait étrangère au roi ; on accusa M. Pitt de l’avoir mise toute entre ses mains. Tout ce que l’un avait voulu faire pour le peuple, disait-on, l’autre le faisait pour le monarque. Et, en effet, ces deux caractères distincts, ces deux inconvénients opposés, étaient toute la différence des deux bills ; c’était, au vrai, une bataille décisive entre les torys et les whigs. M. Pitt l’emporta, et les torys triomphèrent.

Les vices du bill de M. Fox sont demeurés hypothétiques, puisqu’ils n’ont pas été mis en essai ; mais les inconvénients prévus de celui de M. Pitt se sont formellement accomplis : l’équilibre des pouvoirs a été rompu, la vraie constitution d’Angleterre a cessé d’exister, l’autorité royale, journellement accrue, a tout envahi, et marche aujourd’hui sans obstacles dans la grande route de l’arbitraire et de l’absolu.

Les ministres disposent du parlement par une majorité qu’ils ont créée, majorité qui perpétue leurs pouvoirs et légalise leurs violences. Ainsi la liberté anglaise est enchaînée chaque jour davantage au nom