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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/409

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emplois pour la pure considération ; ils fussent devenus d’honorables magistratures, d’immenses justices de paix remplies par les plus grandes fortunes, chez qui la vocation, la philanthropie, une honnête ambition, eussent été les premiers guides et le gage assuré d’une noble indépendance. Et c’est là ce qui compose vraiment la dignité, la majesté d’une nation, ce qui en élève la renommée et ramène la morale publique. Or notre changement de mœurs à cet égard était devenu indispensable, et c’est le dégoût des places qui eût signalé notre véritable retour à la haute morale. On m’a dit ici que cette avidité de places a passé la mer pour aller infecter nos voisins : autrefois les vieux Anglais les dédaignaient. Voyez si aux États-Unis on en est avide. Cet amour dans un peuple est le plus grand échec que puisse éprouver sa moralité. Quand on veut absolument des places, on se trouve déjà vendu d’avance. Aujourd’hui les plus grands personnages en Angleterre courent après ; les grandes familles, toute la pairie, les recherchent. Ils se rejettent sur ce que l’énormité des taxes ne leur permet plus de vivre sans salaire. Pitoyable excuse ! c’est que leurs mœurs publiques sont encore plus altérées que leurs fortunes. Quand on en est arrivé, dans une certaine classe, à solliciter les emplois pour de l’argent, il n’est plus pour une nation de véritable indépendance, de noblesse, de dignité dans le caractère. Notre excuse à nous pouvait être dans les bouleversements et les commotions de notre révolution : chacun avait été déplacé, chacun se sentait dans la nécessité de se rasseoir ; et c’est pour aider à cette nécessité générale, et pour que les sentiments délicats se détruisissent le moins possible, que j’ai cru devoir doter toutes les places de tant d’argent, de lustre et de considération ; mais avec le temps j’eusse changé tout cela par la seule force de l’opinion. Et qu’on ne croie pas la chose impossible : tout devient facile à l’influence du pouvoir quand il veut diriger dans le juste, l’honnête et le beau, etc.

« Je ménageais à mon fils une situation des plus heureuses. J’élevais précisément pour lui à l’école nouvelle la nombreuse classe des auditeurs au Conseil d’État. Leur éducation finie et leur âge venu, ils eussent un beau jour relevé tous les postes de l’empire. Forts de nos principes et des exemples de leurs devanciers, ils se fussent trouvés tous douze à quinze ans de plus que mon fils, ce qui l’eût placé précisément entre deux générations et tous leurs avantages : la maturité, l’expérience et la sagesse au-dessus ; la jeunesse, la célérité, la prestesse au-dessous. » Et comme je m’étonnais qu’il n’eût rien laissé percer de toutes ces