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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/422

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phlets et bien des manifestes qui ne valent guère mieux m’ont accusé de perfidie, de manquer de foi et de parole dans mes négociations : je ne le méritai jamais ; les autres cabinets toujours.

« À Amiens, du reste, a-t-il dit, je croyais de très bonne foi le sort de la France, celui de l’Europe, le mien fixés, la guerre finie. C’est le cabinet anglais qui a tout rallumé, c’est à lui seul que l’Europe doit tous les fléaux qui ont suivi, lui seul en est responsable. Pour moi, j’allais me donner uniquement à l’administration de la France, et je crois que j’eusse enfanté des prodiges. Je n’eusse rien perdu du côté de la gloire, mais beaucoup gagné du côté des jouissances ; j’eusse fait la conquête morale de l’Europe, comme j’ai été sur le point de l’accomplir par les armes. De quel lustre on m’a privé !

« On ne cesse de parler de mon amour pour la guerre ; mais n’ai-je pas été constamment occupé à me défendre ? Ai-je remporté une seule grande victoire que je n’aie immédiatement proposé la paix ?

« Le vrai est que je n’ai jamais été maître de mes mouvements : je n’ai jamais été réellement tout à fait moi.

« Je puis avoir eu bien des plans, mais je ne fus jamais en liberté d’en exécuter aucun. J’avais beau tenir le gouvernail, quelque forte que fût la main, les lames subites et nombreuses l’étaient plus encore, et j’avais la sagesse d’y céder plutôt que de sombrer en voulant y résister obstinément. Je n’ai donc jamais été véritablement mon maître, mais j’ai toujours été gouverné par les circonstances ; si bien qu’au commencement de mon élévation, sous le consulat, de vrais amis, mes chauds partisans, me demandaient parfois, dans les meilleures intentions et pour leur gouverne, où je prétendais arriver ; et je répondais toujours que je n’en savais rien. Ils en demeuraient frappés, peut-être mécontents, et pourtant je leur disais vrai. Plus tard, sous l’empire, où il y avait moins de familiarité, bien des figures semblaient me faire encore la même demande, et j’eusse pu leur faire la même réponse. C’est que je n’étais point le maître de mes actes, parce que je n’avais pas la folie de vouloir tordre les évènements à mon système ; mais au contraire je pliais mon système sur la contexture imprévue des évènements ; et c’est ce qui m’a donné souvent les apparences de mobilité, d’inconséquence, et m’en a fait accuser parfois ; mais était-ce juste ? »

Et après avoir traité beaucoup d’autres sujets encore, l’Empereur, plus loin, disait : « Une de mes plus grandes pensées avait été l’agglomération, la concentration des mêmes peuples géographiques qu’ont dis-